Assis sur une chaise longue, au bord d'un bassin truffé de nénuphars et de grenouilles, l'acteur-metteur en scène reçoit l'AFP pour les 60 ans de Châteauvallon, scène nationale inclassable à Ollioules avec sa bastide, son amphithéâtre face à la rade et sa pinède odorante.
"L'utopie réaliste de départ est devenue une réalité. Quand j'avais 12, 13 ans, ce lieu m'a sauvé la vie. Je n'étais pas adapté au système scolaire et j'ai trouvé ici une respiration totale où j'ai réalisé qu'on pouvait penser, même si on n'est pas comme les autres ou dans la norme".
A 67 ans, il estime que l'histoire de ce site a quelque chose à nous dire aujourd'hui. Quand, en 1995, le Front National a conquis Toulon --première grande ville à basculer à l'extrême-droite--, Châteauvallon a bien failli disparaître après la déprogrammation en 96 du groupe de rap NTM, face aux pressions de la mairie et aux risques de troubles.
Le directeur d'alors, Gérard Paquet, est licencié, l'association dissoute, mais "le lieu a survécu grâce à l'Etat", se félicite aujourd'hui Charles Berling. Depuis, Châteauvallon, situé à la bordure de quartiers populaires, est même devenu une scène "nationale", sans cesser de célébrer les cultures urbaines. Le 18 juillet, Kader Attou orchestrera ainsi "La nuit du hip-hop" dans le cadre du Festival d'été spécial 60 ans.
"En ce moment, il y a l'idée totalement fausse qu'un groupe de bobos se fait plaisir avec l'argent public avec des spectacles un peu abscons ou bien trop provocants": mais, pour l'homme de théâtre, qui dirige aussi le théâtre Liberté à Toulon, "la réduction des subventions publiques à la culture, c'est idéologique".
- Le podcast "Les Résistantes" sur scène -
Selon lui, "le Rassemblement national est à la pointe dans ce mouvement, qu'on voit désormais de tous bords politiques, qui est qu'ils croient que c'est à eux de gérer l'art. Or Malraux disait, très justement: le jour où les politiques pensent que c'est à eux de dire +ça c'est de l'art, ça ne l'est pas+, c'est le début du totalitarisme".
Alors "aux Macronistes" comme aux autres, dans un département où le RN a raflé sept des huit sièges de députés en 2024, échouant seulement à Toulon, il lance: "l'exception culturelle française, tu la finances ou tu la quittes".
"La participation au débat public n'est pas de balancer sur Insta (NDLR: Instagram) une phrase, trois mots. Musk et machin bidule milliardaires, ils ont cette façon de réduire le langage et la discussion politique à des tout petits mots. Nous, on est dans le courant inverse. On prend neuf heures pour raconter ensemble l'Histoire de France. C'est un acte politique, de dire qu'on refuse la simplification, on veut de la nuance, on le fait contre vents et marées, mais c'est l'enjeu fondamental".
Charles Berling est ainsi très fier d'avoir transposé sur scène le podcast à succès du journaliste Philippe Collin sur France Inter, "Léon Blum, une vie héroïque": "On n'a pas fait un spectacle mais un événement théâtral participatif. Un mec dessine l'histoire, des historiens répondent aux questions, il y a des actrices et des acteurs. On remet de l'agora en étant horizontal".
"Il faut faire du théâtre aujourd'hui pour retrouver la fonction d'agora. Parce que les gens souffrent d'être que sur leur portable pour échanger laconiquement en une phrase sur des sujets comme +Gaza, t'es pour, t'es contre ?". Et Léon Blum justement, "il nous dit la nuance, d'arrêter de se mettre d'un côté ou de l'autre", souligne-t-il, évoquant l'ancien leader socialiste, trop souvent réduit au Front Populaire et au vote des congés payés en 1936.
Maintenant, toujours avec Philippe Collin, il veut adapter sur scène le podcast "Les Résistantes", avec pour objectif de le présenter au Printemps des Comédiens de Montpellier en 2026, annonce-t-il. Avec ces récits de femmes longtemps restées dans l'ombre, il souhaite travailler sur cette petite voix intérieure qui se met à souffler: "Non, on ne veut pas accepter certaines choses".