Un 49.3, une motion de censure, et toute la copie budgétaire du gouvernement Barnier sera remise en question. Car la chute de l'exécutif empêcherait l'adoption et l'application du budget de la Sécurité sociale, et sans doute par ricochet celui de l'Etat. Conduisant probablement à la reconduction automatique du budget 2024. Un scénario catastrophe pour certains, une bonne nouvelle pour d'autres, même si globalement, le patronat s'inquiètent des fortes turbulences à venir. Voici un tour d'horizon des gagnants et des perdants en cas de censure du gouvernement.

Les perdants

Les aides aux agriculteurs sont sur la sellette. Au micro de RMC le 29 novembre, Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, déclarait : « La couleur du gouvernement m'importe peu, c'est l'efficacité qui compte. Nous avons besoin d'un gouvernement et d'un budget. » Et de fait, le gouvernement avait répondu à de nombreuses attentes du secteur, mises sur la table et acceptée par le gouvernement Attal à l'hiver dernier. Seulement, deux tiers de ces mesures sont « bloquées » dans les différents projets de lois du budget, selon Arnaud Rousseau. Y figurent notamment les mesures pour un « meilleur calcul des pensions de retraite agricoles, celles sur les travailleurs occasionnels, ou sur les installations des jeunes agriculteurs ».

Les aides de trésorerie annoncées début novembre par la ministre Annie Genevard, à la suite des petites récoltes de 2024, sont également en suspens. Les prêts à court terme devaient arriver aux alentours du 15 décembre, suivis ensuite par des prêts « à plus long terme, de cinq à sept ans garantis par l'Etat à hauteur de 50 % ». Des échéances impossibles à tenir en cas de renversement du gouvernement.

Le secteur immobilier est en première ligne. Le projet de loi de finances prévoit d'élargir le périmètre du PTZ (prêt à taux zéro) pendant trois ans à l'ensemble du territoire français, et plus seulement aux zones tendues. « L'élargissement du prêt à taux zéro viendra accompagner la baisse des taux d'intérêt. Tout cela crée une fenêtre de tir pour les primo-accédants, je les encourage à saisir » l'occasion, avait indiqué la ministre du Logement et de la Rénovation urbaine, Valérie Létard, à la mi-novembre sur France Info. De plus, les primo-accédants devaient être favorisés via une exemption de la hausse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) prévue dans le PLF. Des mesures pour relancer le marché grippé de l'immobilier caduques en l'absence de budget. Un secteur de l'immobilier qui s'inquiète aussi d'un budget consacré à la rénovation énergétique des logements qui serait maintenu à l'identique, alors que l'enveloppe de la MaPrimRénov' devait grimper au cours de l'année 2025.

Pour la défense, la menace plane sur les commandes de matériel militaire. La défense est l'un des secteurs qui pourrait le plus pâtir d'une motion de censure. Alors que le PLF 2025 respectait la loi de programmation militaire et prévoyait une forte augmentation de l'enveloppe de Balard pour la septième année consécutive, l'abandon du budget mettrait un coup d'arrêt à l'effort de rénovation des armées engagé depuis 2017. Dans un message publié sur X lundi, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, s'est inquiété des conséquences pour le fonctionnement de la défense nationale, mais également pour les industriels de la défense, si le gouvernement ne pouvait pas garantir les nombreuses commandes prévues. Autre effet : l'impossibilité de recruter les effectifs nécessaires dans l'armée. « Cela serait l'impossibilité immédiate de revaloriser leur solde. Et l'impossibilité de recruter les 700 effectifs supplémentaires prévus », a-t-il déclaré.

Même inquiétudes du côté du ministère de l'Intérieur et de la Justice, qui devaient bénéficier d'un relèvement important de leurs crédits budgétaires, avec des créations de postes à la clé, en particulier de greffiers et de juges.

Les gagnants

Les transporteurs aériens et maritimes peuvent souffler. En cas de censure, les différentes surtaxes prévues par le PLF 2025 n'entreraient pas en vigueur en cas de censure. Dans l'aérien, les acteurs du secteur n'ont eu de cesse de dénoncer l'escadron d'augmentations fiscales, notamment celles sur la taxe de solidarité sur les billets d'avion (150 millions d'euros attendus) et sur la taxe du transport aérien de passagers (850 millions d'euros). Sur le maritime, la « contribution exceptionnelle sur le résultat d'exploitation des grandes entreprises de transport maritime de plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires » (qui ne concernait en fait que l'armateur CMA CGM à hauteur de 800 millions d'euros sur deux ans) sombrerait également avec le budget 2025.

Pour les opérateurs de paris sportifs et de poker en ligne, la menace se rapprochait dangereusement. Le compromis trouvé entre députés et sénateurs sur le budget de la Sécurité sociale entérinait en effet une forte hausse de leur fiscalité, promettant de bousculer leur modèle économique. Le texte prévoit que le prélèvement sur le produit brut des jeux (PBJ, soit les mises moins les gains des joueurs) passe de 10,6 % à 15 % pour les paris sportifs en ligne. Et qu'un nouveau prélèvement de 10 % soit instauré sur le PBJ du poker, en lieu et place de l'actuelle taxation (0,2 % des mises). Quand les paris sportifs en points de vente, pour lesquels la Française des Jeux possède le monopole, subiraient « seulement » un point de hausse de leur prélèvement. Si le budget de la Sécurité sociale tombe, cela confortera l'Association française des jeux en ligne (Afjel), qui craignait pour la survie même de ses membres.

Les laboratoires pharmaceutiques voient le danger s'éloigner. Face au dérapage surprise des dépenses de médicaments en 2024 - avec un décalage de 1,2 milliard d'euros par rapport aux prévisions initiales -, les industriels pharmaceutiques se sont retrouvés en première ligne, avec le risque de voir augmenter la clause de sauvegarde. Celle-ci les oblige à reverser une partie de leur chiffre d'affaires quand les dépenses dérapent.

Face à la fronde des industriels, le gouvernement a limité l'ajustement d'urgence (400 millions) et renvoyé à des mesures d'économies supplémentaires pour 2025, à mettre en oeuvre en concertation avec les laboratoires. La pression va baisser d'un cran, si le budget tombe. Mais le prochain gouvernement devra se pencher à nouveau sur la question. Mutuelles et assurances pourraient échapper aux transferts de charges. Le budget de la Sécurité sociale prévoit des transferts importants de dépenses sur les complémentaires santé (mutuelles, assurances), avec notamment une augmentation de cinq points de la part des consultations médicales qu'elles doivent prendre en charge. Un transfert équivalent était prévu sur les remboursements de médicaments, avant que Matignon y renonce lundi matin pour tenter d'amadouer le RN. Autre surcharge prévue en 2025 pour les complémentaires : la baisse de la prise en charge par la Sécurité sociale des indemnités journalières. Avec à la clé une hausse des tarifs des couvertures santé. Autant de transferts de charges qui s'éteindraient en cas de rejet des textes budgétaires.