Gris par nature, intégrant un ciment particulièrement énergivore et des granulats naturels en voie de raréfaction, le béton peut-il passer au « vert » ? Le secteur cimentier a certes progressé en dix ans, mais ses 25 sites industriels français rejettent chaque année 10 millions de tonnes de CO2, soit 2,5 % des émissions de la France. Leurs clients, les fabricants de béton préfabriqué ou prêt à l'emploi, sont tout disposés à intégrer des substituts naturels ou du béton recyclé pour alléger leur empreinte carbone. Tous savent que la réglementation thermique RE 2020, entrée en application l'an dernier, sera réactualisée tous les trois ans, imposant des performances énergétiques de plus en plus élevées.

« Les réglementations sont utiles pour booster la décarbonation. Près de 70 % de nos membres utilisent déjà des granulats de béton recyclé ou des matériaux biosourcés dans leur production. Mais les produits plus verts sont plus chers, et il faut soutenir la filière pour lui permettre d'innover », affirme Bertrand Bedel, président de la Fédération de l'industrie du béton, qui représente les entreprises du préfabriqué, et du Centre d'études et de recherches de l'industrie du béton (Cerib).

Long travail de R&D

En récession de plus de 10 % pour la deuxième année consécutive, le marché des matériaux de construction en béton se compose d'une douzaine de grands groupes cimentiers et d'une kyrielle de PME bien réparties sur le territoire et à l'abri des délocalisations. Une quarantaine d'industriels mobilisent environ 3.000 centrales à béton implantées au plus près des chantiers. Les fabricants de béton préfabriqué représentent quant à eux 400 entreprises employant environ 20.000 salariés sur 700 sites.

Le Cerib travaille sur 19 brevets dédiés à la décarbonation, à l'économie de la ressource et aux performances environnementales du secteur. Les pistes de progrès sont nombreuses, mais l'adjonction de bois, de lin ou de miscanthus dans des éléments de façade suppose un long travail de recherche-développement. Une fois décrochés les certifications et agréments nécessaires, les nouveaux produits peinent à rencontrer leur marché, rendant incertain le rapport entre l'investissement et le gain.

Argile crue

Les innovations les plus prometteuses émanent de PME. Certaines d'entre elles se sont attaquées à la base même du lourd bilan carbone du béton : le clinker, activateur chimique du ciment, qui représente pas moins de 98 % des émissions du béton. Ce mélange d'argile et de calcaire nécessite dix-huit heures de cuisson à 1.450 degrés dans un four préchauffé à 580 degrés. Cette combustion terriblement énergivore semblait jusqu'à présent inéluctable. Le groupe françaisHoffmann Green a pourtant mis au point le premier ciment zéro clinker, dont il produit 300.000 tonnes dans ses deux usines vendéennes.

« Nous avons cassé les codes et apporté une alternative technologique dans un secteur trusté par les majors, où rien n'a vraiment changé depuis deux cents ans », affirme Julien Blanchard, son président. L'entreprise, qui emploie 55 salariés pour 6 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2023, a levé 100 millions d'euros depuis son entrée en Bourse voilà cinq ans. Elle projette une nouvelle usine en Arabie saoudite. A Toulouse, la jeune entreprise Materrup s'est, elle, alliée à Vicat, dernier cimentier français, pour produire un ciment prêt à l'emploi intégrant de l'argile crue, jusqu'à présent considérée comme un déchet.

Les fabricants de béton participent, eux aussi, au challenge de la décarbonation. Ces des dix dernières années, ils ont introduit du méta kaolin - du kaolin broyé, puis calciné, pour réduire la quantité de clinker. La filière du recyclage s'est organisée et permet dorénavant de réutiliser du béton. De nouvelles briques intègrent des matériaux naturels tels du bois, du chanvre ou du miscanthus. Elles améliorent l'isolation des façades, allègent les structures des bâtiments et s'intègrent de mieux en mieux aux structures en béton brut ou en acier.

Captage-enfouissement

Dans les Hauts-de-France, la coopérative Batilin, qui regroupe 450 liniculteurs, a développé un béton intégralement biosourcé valorisant l'anas, coproduit du lin. Adaptés à la construction et à la réhabilitation, ces blocs secs à la fois isolants et perspirants ont déjà été mis en oeuvre sur une cinquantaine de chantiers.

La filière linicole espère obtenir cette année l'agrément technique de premier matériau de construction qui, stockant du CO2 au lieu d'en émettre, revendique un bilan carbone négatif. Soutenue par l'Ademe et Bpifrance, une première usine doit s'implanter à Bourbourg (Nord) en 2027. Dans les travaux publics, les murs antibruit à base de béton de bois ont fait la preuve de leur capacité à absorber le son. Le rémois Capremib a apporté une variante à Réseau ferré de France en utilisant un béton de caoutchouc pour protéger du bruit les riverains de la ligne Massy-Valenton, près de Paris.

Du côté des grandes entreprises, France Ciment, qui représente huit groupes européens présents dans l'Hexagone, a validé fin 2023 une feuille de route visant à réduire de moitié les émissions d'ici à la fin de la décennie. Ces prévisions, calculées par rapport à 2015, tablent sur une économie de 27 % grâce à la diminution de la quantité de clinker et au recours à des énergies non fossiles. Les 23 % de gain supplémentaire reposent exclusivement sur des dispositifs de captage de CO2 pour l'heure balbutiants.La technologie du captage-enfouissement, dont les cimentiers évaluent sommairement le coût entre 2 et 4 milliards d'euros, est pourtant loin d'avoir fait ses preuves. Qu'elle aboutisse ou non, elle est déjà qualifiée par de nombreuses associations, dont le Réseau action climat, de « fausse solution » et de « vrai greenwashing ».