En 1983, quand s'ouvre le film de Stéphane Demoustier, le président François Mitterrand confie à von Spreckelsen, qui n'a alors construit que sa maison et une poignée d'églises, les clés de ce projet colossal qui doit être livré pour le bicentenaire de la Révolution de 1789.
La surprise est totale, tout le monde écorche son nom, personne n'arrive à le joindre. "Appelez l'ambassade du Danemark, c'est un petit pays, ils sauront vous renseigner", lance Mitterrand, monarque bâtisseur campé par Michel Fau dans ce film projeté dans la section Un certain regard.
Révélé dans "The Square", Palme d'or 2017, l'acteur danois Claes Bang prête sa longue silhouette à ce von Spreckelsen flegmatique et obstiné, rétif à toute concession malgré les pressions d'un conseiller présidentiel (Xavier Dolan) et les suggestions avisées de son exécutant (Swan Arlaud).
Après "The Brutalist" et "Megalopolis" de Francis Ford Coppola, sa fiction place au centre du récit un architecte qui "ne voit le monde qu'à travers son métier", explique à l'AFP Stéphane Demoustier ("Borgo", "La Fille au bracelet"...).
"Qu'il ait autant souffert dans un processus qui aurait dû être un accomplissement pour lui, ça me l'a rendu touchant", ajoute le cinéaste de 48 ans.
De la qualité du marbre au rendu des parois en verre, sa quête d'absolu sur la Grande Arche, qu'il est le seul à appeler "le cube", finira par avoir raison de sa santé. Mort en 1987, von Spreckelsen n'aura jamais vu son grand-oeuvre debout.
- "Composer avec le réel" -
"Ca m'a touché, cette incapacité à composer avec le réel parce que, nous aussi, quand on fait des films, on est constamment aux prises avec ces questions", développe le réalisateur français. "On a une idée et puis il y a les principes de réalité qui nous rattrapent, le manque d'argent, la disponibilité des lieux".
Stéphane Demoustier voulait aussi replonger dans cette époque des grands et dispendieux projets mitterrandiens, qu'il assimile aux "derniers feux du romantisme et d'une liberté française".
A l'époque du chantier de la Grande Arche, la Pyramide du Louvre sortait peu à peu de terre, engloutissant des milliards d'argent public au nom de la grandeur française.
"Aujourd'hui, on serait incapable de mener de front tous ces chantiers, surtout pour des projets patrimoniaux", estime le cinéaste, qui est parvenu, sans effets spéciaux spectaculaires, à reconstituer à l'écran ces mégachantiers qui défiguraient une partie de la capitale française.
Pour quel résultat? Posée en plein coeur du quartier d'affaires de la Défense, l'un des plus grands d'Europe, la Grande Arche ne remplit aucune fonction publique et une partie de l'édifice est entièrement inoccupée.
"Il y avait du panache derrière ce projet mais aussi une certaine gabegie", relate Stéphane Demoustier, qui entretient une relation très distante avec ce monument. "C'est curieux, l'Arche, on la connaît tous mais, en même temps, personne n'a de rapport sensible avec elle".
A l'exception de son défunt bâtisseur.