Président du Mouvement Africain pour la Nouvelle Indépendance et la Démocratie (Manidem), Anicet Ekane avait été interpellé le 24 octobre à Douala, la veille de l'annonce de la victoire de Paul Biya, 92 ans et au pouvoir depuis 1982, reconduit pour un huitième mandat.
Les autorités lui reprochaient son soutien à l'opposant Issa Tchiroma Bakary qui s'est autoproclamé vainqueur du scrutin et président élu du Cameroun, et qui avait appelé la population à contester dans la rue la victoire de M. Biya, des manifestations violemment réprimées.
Selon Valentin Dongmo, vice-président du parti, Anicet Ekane avait été ensuite transféré à Yaoundé, où il était détenu au Secrétariat d'Etat à la Défense (SED).
C’est dans ce lieu de détention que son état de santé s’est dégradé. Le parti indique avoir multiplié les alertes auprès des autorités du tribunal militaire pour obtenir son transfert vers un hôpital mieux équipé, mais sans succès.
"Hier (dimanche) encore, nous avons réclamé une évacuation sanitaire auprès des autorités", a souligné M. Dongmo.
La nouvelle de sa disparition a suscité de nombreux messages de consternation sur les réseaux sociaux.
- "mépris des droits humains" -
Anicet Ekane avait été arrêté aux côtés d’autres responsables politiques ayant publiquement soutenu la revendication de victoire d'Issa Tchiroma Bakary à l'élection présidentielle.
Dans un communiqué Issa Tchiroma Bakary a dénoncé lundi soir une mort "dont les circonstances sont d’une brutalité juridique et humaine inqualifiable".
S’adressant aux Camerounais, il a affirmé que "le sang d’Anicet Ekane n’appelait pas à la vengeance, mais à la justice", tout en assurant aux familles des prisonniers politiques qu'elles "ne sont pas seules".
D'après l'analyste politique Stephane Akoa, le SED, unité administrative rattachée au ministère de la Défense permet au système de "garder un contrôle strict sur des détenus VIP ou considérés comme tels", sans que cela garantisse un "meilleur traitement".
La mort d'Anicet Ekane "rappelle cruellement que les conditions de détention au Cameroun sont extrêmement mauvaises, voire dans certains cas un mépris des droits humains", malgré les conventions ratifiées par le pays, selon lui.
Dans un communiqué paru lundi, le ministère de la Défense nie toute négligence et affirme qu'Anicet Ekane "était pris en charge de manière appropriée par le corps médical". Une enquête a été ouverte afin "d’établir avec précision les circonstances du décès", ajoute le ministère.
Le gouvernement a annoncé dans un communiqué lundi avoir appris avec "consternation" le décès d'Anicet Ekane et a appelé la population "au calme et la retenue", en précisant que le président Biya avait demandé qu'une enquête soit ouverte immédiatement, en vue d'élucider "avec précision et objectivité, les causes réelles de ce décès".
- "impératif de faire justice" -
Dans ce contexte, la délégation de l’Union européenne au Cameroun a réitéré dans un communiqué son appel à la libération de toutes les personnes détenues arbitrairement depuis l’élection présidentielle, en insistant sur "l'impératif de faire justice" pour éviter que de tels drames ne se reproduisent.
L'UE a rappelé avoir souligné le 28 octobre "la nécessité de garantir la sécurité et l’intégrité physique de tous les acteurs politiques" et "de lutter contre le recours excessif à la violence et les violations des droits humains".
Né en 1951 à Douala, Anicet Ekane avait rejoint l’Union nationale des étudiants du Kamerun (Unek) dans les années 1970, avant d’adhérer en 1973 à l'UPC (Union des populations du Cameroun), parti longtemps interdit, puis de créer le Manidem en 1995.
Arrêté en février 1990 avec d'autres militants d'opposition, il avait été condamné par le tribunal militaire avant d'être gracié quelques mois plus tard.
Chef du Manidem durant plusieurs années, il en fut le candidat aux élections présidentielles de 2004 et 2011.
Pour les dernières élections, son parti avait initialement investi Maurice Kamto, mais la candidature de celui-ci ayant été rejetée, il avait apporté son soutien à Issa Tchiroma.