C'est un art dans lequel la Banque centrale européenne (BCE) est passée maître. Celui de tuer le suspense, tout en prétendant que rien n'est joué. Ainsi, la décision que prendra l'institution de Francfort ne fait aucun doute. Malgré les formulations prudentes, toutes les récentes déclarations des membres du Conseil des gouverneurs vont dans le même sens. Jeudi 5 juin, la BCE va procéder à sa première baisse de taux, devançant la Banque d'Angleterre et surtout la Réserve fédérale américaine.

Le taux de dépôt devrait donc retomber à 4,25 %, redescendant du plus haut historique (4,5 %) auquel il évoluait depuis septembre 2023. « Toute autre annonce qu'une baisse de 25 points de base serait une surprise majeure, sans parler d'une grave perte de réputation pour la Banque centrale », confirme Carsten Brzeski, chez ING.

Inflation sur la bonne voie

Ni les récents chiffres des salaires en Europe, qui ont progressé de 4,7 %, ni l'inflation en zone euro publiée vendredi (qui a bondi plus qu'attendu à 2,6 % sur un an en mai) ne devraient faire dévier la banque centrale. Il s'agit pour elle de confirmer que, malgré les soubresauts encore possible, la hausse des prix à la consommation est en bonne voie pour redescendre vers 2 %.Forts de cette certitude sur l'action de la banque centrale, les investisseurs s'interrogent déjà sur le coup d'après. A quand une deuxième baisse de taux ? Combien d'assouplissements cette année ? La réponse est beaucoup plus incertaine.

Au sein des banquiers centraux, le débat est animé. Philip Lane, économiste en chef de l'institution, a insisté sur le fait que la politique monétaire devait rester restrictive jusqu'en décembre malgré les baisses des taux. Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a exhorté la semaine dernière ses homologues à ne pas exclure d'emblée un nouvel allégement dès le mois de juillet.

Le Néerlandais Klaas Knot, qui affiche une vision plus conservatrice de la politique monétaire, préconise lui une approche trimestrielle. Soit potentiellement en juin, septembre et décembre. La BCE disposera alors de prévisions économiques mises à jour.

Les marchés sont plus pessimistes. Après avoir envisagé jusqu'à six baisses de taux cette année, ils ne misent plus que sur deux, y compris celle du 5 juin prochain. « Il faudra faire attention aux nouvelles projections qui seront présentées jeudi, estime Franck Dixmier, chez Allianz GI. Si les équipes de la BCE continuent à anticiper une inflation à 2 % en 2025, comme au mois de mars, cela signifie qu'elle pourra confortablement continuer à desserrer l'étau monétaire. »

Reprise fragile

Certaines voix s'élèvent pour inviter la banque centrale à ne pas trop prendre son temps. « En maintenant des taux trop élevés pendant trop longtemps, les banquiers centraux risquent de mettre en péril une reprise économique encore fragile et inégale, a mis en garde Frederik Ducrozet, chez Pictet Wealth dans une récente tribune. Le risque le plus important que nous voyons est que, lorsque l'inflation sera revenue à des niveaux plus acceptables, le marché du travail - qui est déjà en train de ralentir - pourrait s'être affaibli encore plus. »