L'avocat Hugo Aguilar a prévenu qu'il allait porter les "habits de gala des peuples et communautés indigènes" dans ses nouvelles fonctions, et non plus la toge de soie noire réglementaire. Une revanche de l'histoire, appuyée par la gauche au pouvoir, sur des siècles d'exclusion.
"Si ce pays, par son essence et son origine, est pluriculturel, il serait bon que la Cour renvoie une image pluriculturelle", a-t-il insisté dans un entretien après son élection au suffrage universel le 1er juin, une première mondiale.
Un décret présidentiel de 1941 impose aux neuf membres de la plus haute juridiction du Mexique le port de la toge magistrale lors des audiences. Mais le Mouvement pour la régénération nationale (Morena, gauche nationaliste au pouvoir), envisage de l'abroger en soutenant l'initiative du prochain président de la Cour suprême, qui prendra ses fonctions en septembre.
"Un bon juge ne se définit pas par une toge, mais par son honnêteté, ses connaissances et la manière dont il applique la justice", a déclaré la présidente du pays, Claudia Sheinbaum.
L'ex-maire de Mexico porte elle-même, à l'occasion, des "huipils" (chemisiers brodés) lors de ses apparitions publiques. Le jour de son investiture le 1er octobre, elle portait une robe dessinée par une créatrice du Oaxaca, Claudia Vásquez Aquino.
- Justice pour les peuples autochtones -
M. Aguilar est lui aussi originaire de l'Etat du Oaxaca (sud), un Mexique en miniature avec ses plages du Paficique et sa sierra, le site pré-hispanique de Monte Alban aux portes de la capitale Oaxaca et son héritage colonial, sans oublier le mezcal et... les tisserands.
Les hommes politiques locaux ont commencé à porter il y a environ 40 ans la "guayabera" (chemise pour homme ornée de broderies traditionnelles), se souviennent les artisans locaux.
Irma Pineda, poétesse zapotèque et députée locale du Oaxaca, porte aussi des habits traditionnels. Elle demande à Hugo Aguilar d'aller au-delà du symbole vestimentaire.
"En particulier, je voudrais entendre Hugo Aguilar (...) dire qu'il y aura justice pour les peuples autochtones", a dit la législatrice à l'AFP.
Selon le recensement officiel, environ 20% des près de 130 millions d'habitants du Mexique s'identifient à un peuple autochtone.
Dans le sud du Mexique, des membres de communautés indigènes, défendus par la gauche au pouvoir, se sont opposés à des grands projets d'infrastructure portés par cette même gauche, par exemple le train touristique Maya dans la péninsule du Yucatan.
Pendant sa campagne, Hugo Aguilar a dénoncé le déni, l'exclusion et l'abandon des indigènes. Le juriste a été membre dans sa jeunesse d'une organisation qui a conseillé la guérilla zapatiste au Chiapas (sud) dans les années 1990.
Il a concouru sous le slogan "C'est maintenant notre tour", en portant de splendides "guayaberas".
- Utilisation éthique -
Salvador Maldonado, porte-parole du Musée textile d'Oaxaca, plaide pour un usage "éthique" de ces vêtements, dont beaucoup ont une signification cérémoniale profonde.
Il s'agit de les considérer comme les pièces d'"un patrimoine", a expliqué l'expert.
Pourvu que la Cour suprême devienne une vitrine avec M. Aguilar, espère Graciela Santos, une Zapotèque de la communauté de Santo Tomás Jalieza qui vit de la confection et de la vente de costumes typiques.
Elle doit souvent faire face à des clients cherchant à marchander les prix à la baisse pour des pièces qui peuvent nécessiter des mois de travail.
La promotion de l'artisanat textile traditionnel est une priorité du gouvernement, qui organise depuis 2021 chaque année à Mexico le festival Original. Objectif: mettre en valeur les créateurs indigènes, lutter contre le plagiat et interdire le marchandage.
Au Mexique, les élections de tous les juges et magistrats représentent la clé de voûte d'une réforme constitutionnelle portée par le pouvoir pour lutter contre la "corruption" et les "privilèges" au sein de la justice.
Uniques au monde, elles ont été très critiquées. L'Organisation des Etats américains (OEA) les a déconseillées dans d'autres pays d'Amérique latine, en évoquant un processus "énormément complexe et polarisant".
Hugo Aguilar sera le deuxième président de la Cour suprême issu d'une communauté indigène après Benito Juárez, considéré comme le père du Mexique moderne. Issu du peuple zapotèque, ce dernier avait été brièvement à la tête de la juridiction avant de devenir président de la République (1858-1872).