Résister à l'hégémonie américaine sur le Web ne relève pas uniquement de l'action des pouvoirs publics. Le consommateur aussi doit se mobiliser.Apple, Google, Amazon : les trois géants de la culture « dématérialisée » se livrent une guerre sans merci, à coups de lancements de plates-formes, de nouveaux écrans et de médias intégrés. S'il reste difficile de prévoir qui va gagner la bataille, on peut deviner qui risque d'en être le perdant : le consommateur. Lui qui pourtant adhère avec enthousiasme à ces nouveaux modes de consommation (28 % des achats de musique s'effectuent en ligne aujourd'hui en France) pourrait se trouver face à une situation d'oligopole. En France, Apple et Amazon détiennent ensemble la quasi-totalité du marché de la distribution digitale de la culture. Et Google, plus de 91 % du marché de la recherche. Une domination écrasante qui permet à ces acteurs d'imposer leurs prix, leurs conditions de marché, et, finalement, de menacer ce que le numérique était censé favoriser : la diversité et l'éclosion de nouveaux talents. Sans compter un autre danger. Google capte aujourd'hui une telle part des revenus publicitaires (il détient 70 % du marché mondial de la publicité par mots-clefs) que les autres médias, la presse écrite notamment, connaissent une crise sans précédent - et pour l'instant sans solution. Une menace de plus pour la pluralité des médias proposés au consommateur.Dans cette situation, éditeurs et producteurs de contenus culturels ont logiquement tenté de mobiliser les pouvoirs publics et sont parvenus à quelques résultats. Ainsi, en février 2013, sous la pression du gouvernement, Google a accepté de verser à la presse française un montant forfaitaire… représentant un très modeste 0,4 % de son chiffre d'affaires en France ! De même, les avantages fiscaux exorbitants que ces sociétés conservent font l'objet de réflexions partout dans le monde…, mais rien ne bouge pour l'instant.Comment alors faire changer les comportements ? Par l'information, d'abord. Aux médias, aux « influenceurs » de rappeler, par exemple, au consommateur que, lorsqu'il achète un morceau sur iTunes, il n'en devient pas pour autant propriétaire. A l'école, au collège, de rappeler qu'il existe, pour s'informer ou se cultiver, d'autres ressources que Google ou Amazon. A condition bien sûr que ces ressources existent. Aujourd'hui, personne sur le Web ne propose autant de services gratuits et performants que Google. Ni autant de titres qu'iTunes. Faire évoluer le consommateur, c'est aussi une question d'offre : aux distributeurs européens, pour l'instant essentiellement nationaux, de s'unir pour proposer sur le Web une alternative crédible à celle des Américains. Un vrai choix, assumé et éditorialisé, mettant en avant la diversité et les jeunes talents, plutôt que le Top 10 des ventes mondiales. Aujourd'hui, seuls les Allemands mènent un projet de ce genre : Tolino. Cette plate-forme de téléchargement de livres commercialise une tablette, le Tolino Shine eReader, et a signé un partenariat avec plusieurs acteurs majeurs allemands. Leur objectif : créer un « Amazon européen ».Impossible aujourd'hui de savoir si un tel projet peut réussir. Seule solution : essayer ! En se rappelant que, en Suède, c'est le suédois Spotify qui domine le marché de la musique. Que, en Grande-Bretagne, l'anglais Tesco devance Amazon sur ce même marché. Preuve que la fatalité n'existe pas.