"Après un féminicide, les enfants sont orphelins. Ils ont perdu leur mère. Leur père s'est suicidé ou est en prison. Ils n'ont plus de parents pour s'occuper d'eux", explique Sandrine Bouchait, présidente de l'Union nationale des familles de féminicides (UNFF).

"Certains sont même témoins oculaires: cela s'est passé devant eux ou ils ont découvert les corps. Parfois les enfants ont été mis en danger", témoigne cette femme, dont la soeur a été immolée par son compagnon devant sa fille de sept ans.

En 2023, 124 enfants ont ainsi perdu leur mère dans un féminicide. Parmi eux, 22 étaient présents et deux ont découvert le corps. En 2022, ils étaient 148, dont 38 témoins, a recensé le collectif féminicides par compagnon ou ex. 

Expérimenté en Seine-Saint-Denis en 2015, le protocole féminicide planifie une mobilisation immédiate et coordonnée de la justice, des forces de l'ordre, soignants et services sociaux pour prendre en charge ces enfants. 

- "Scènes de guerre" -

Le procureur de la République prend dans l’urgence une ordonnance de placement provisoire (OPP) des mineurs, hospitalisés pour environ huit jours, et confiés à l'Aide sociale à l'enfance (ASE).

Alors que le foyer, scène de crime, est condamné, ils analysent quelle solution (famille biologique ou d'accueil) est appropriée pour l'enfant.

Les enquêteurs ont une fiche trousseau, incluant doudou, appareil dentaire, affaires de classe, à remettre à l'enfant.

Ensuite peuvent être mis en place des soins pédopsychiatriques.

"Le traumatisme est comparable à celui provoqué par une scène de guerre sur des soldats sur le terrain", explique le Dr Gilbert Vila, responsable de centre de victimologie pour mineurs de l’hôpital Trousseau à Paris. 

"Les symptômes sont divers: état de choc, prostration ou au contraire agitation et colère, dissociation psychique, problèmes de sommeil, grande anxiété, pleurs, hypervigilance, sidération, flashbacks, cauchemars...", décrit-il.

Avec une prise en charge "précoce", des "thérapies validées scientifiquement", "on peut faire en sorte que les troubles ne s'installent pas, qu'ils retrouvent confiance dans les adultes. Plus on intervient tôt, plus on minimise les répercussions", explique le psychiatre.

Alors que l'ex-secrétaire d'Etat à l'Enfance Adrien Taquet avait annoncé en 2022 la généralisation de ces protocoles, ils ne sont pas encore étendus à la France entière, ce qui "crée des inégalités", regrette l'UNFF.

En 2023, 39 avaient été signés, et en 2024, 67 sont signés ou "en cours de signature" dans 14 régions, selon le ministère chargé de la Famille. 

Avant ces protocoles, les autorités confiaient les enfants sans évaluer parfois dans l'urgence si l'accueil était adapté, explique Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis et créatrice de ce dispositif.

"L'un était confié à une tante qui habitait dans le pavillon où papa avait tué maman à coups de pierre. Un autre à une tante victime de violences conjugales...", explique-t-elle.

- Les majeurs exclus -

C'est encore le cas dans les territoires sans protocole, où dans l'urgence, on place parfois les enfants sans évaluation préalable. "Or les parents de la mère sont effondrés, ceux du père minimisent ses actes", relève Mme Bouchait.

La prise en charge psychiatrique se fait alors au bon vouloir des familles d'accueil.

Or des soins en psychotrauma sont essentiels pour rompre le schéma de répétition des violences et éviter que l'enfant ne devienne lui-même victime ou agressif, vis-à-vis des autres ou de lui-même.

Les majeurs, eux, demeurent sans prise en charge adaptée. "Un étudiant rentre à la maison et la retrouve sous scellés. Il n'a plus accès à ses affaires, il est en état de choc et à la rue", souligne Mme Bouchait.

"Il doit avancer dans le deuil, vivre avec l'idée d’être un enfant de meurtrier sans plus personne pour payer ses études."

En plus de l'élargissement du protocole féminicide à la France entière, l'UNFF demande un suivi pour les majeurs afin qu'ils aient plus facilement accès aux études, à l’emploi, au logement et à des soins en psychotrauma.