D'Otto Dix à Vassily Kandinsky, Paul Klee, Oskar Kokoschka mais aussi Vincent Van Gogh, Marc Chagall ou Pablo Picasso, cette exposition, au musée Picasso à Paris, présente 59 chefs d’œuvre dont 26 ont fait partie des quelque 700 tableaux, sculptures ou dessins exposés en 1937 à Munich sous l'appellation "art dégénéré".

Des extraits de films en noir et blanc montrent comment à l'époque "deux millions de personnes" se pressent pour les voir gratuitement, explique Johan Popelard, conservateur au musée Picasso et commissaire, assisté de François Dareau.

Parallèlement, on découvre Adolf Hitler, recalé dans sa jeunesse à l'examen d'entrée de l'académie des beaux-arts de Vienne, inaugurant une exposition dédiée à l'art officiel et ses modèles antiques.

Nourrie des récentes recherches sur le sujet et des innombrables archives du musée Picasso (correspondance, articles de presse, documents, photographies...) l'exposition, qui débute mardi, vise à "rendre justice à la beauté des chefs d'oeuvre de l'art allemand de la première partie du XXème siècle" en éclairant "la manière dont ils ont été diffamés, salis et la vie des artistes percutée" par le régime nazi, explique M. Popelard.

- Purge -

De l'accession au pouvoir d'Hitler en 1933 jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, une campagne publique d'exclusion, de diffamation et de destruction des avant-gardes - de l'expressionnisme à l'abstraction, de Dada à la Nouvelle Objectivité - est menée sous la direction de Joseph Goebbels, le ministre de la Propagande du Troisième Reich.

Pour les nazis, il s'agit d'en finir avec la production "d'idiots", de "malades mentaux" de "criminels", de "spéculateurs", de "juifs" et de "bolchéviques", menaçant la "pureté allemande", rappelle M. Popelard.

"Plus de 20.000 œuvres sont retirées d'une centaine de musées allemands dont on estime que 5.000 ont été détruites. La purge est d'autant plus radicale que les collections publiques allemandes ont développé une politique d'acquisition en pointe sur l'art moderne - dont nombre d'artistes étrangers comme le Français Henri Matisse ou l'Espagnol Pablo Picasso - et font figures de pionnières en Europe", souligne-t-il.

- rescapés -

Le parcours s'ouvre sur un écrasant mur de 1.400 noms d'artistes, diffamés, insultés, limogés de leurs postes d'enseignants et interdits d'exercice, contraints à l'exil, déportés et pour certains assassinés.

Au pied de ce mur: les fragments de quatre sculptures "qu'on croyait perdues". "Ensevelies sous les décombres après les bombardements de Berlin en 1944, elles ont refait surface en 2010 lors de fouilles archéologiques sur le chantier d'une future ligne de métro", raconte M. Popelard.

S'en suit un concentré de chefs d’œuvre, exposés à Munich en 1937. Parmi eux, "Rue de Berlin" de Kirchner (1913), "Metropolis" de Grosz (1916-17) ou "Rythme des fenêtres" de Klee (1920).

Une section est plus particulièrement consacrée aux artistes juifs avec, entre autres, "La Prise" de Chagall (1923-26) d'après une nouvelle yiddish dans laquelle un rabbin vend son âme à Satan pour une pincée de tabac.

Parmi les artistes honnis, Picasso fait figure "d'archétype", selon M. Popelard. Dans une section consacrée à l'émergence du concept de "dégénérescence" de l'humain à la fin du XVIIIe siècle et qui se développe durant tout le XIXe siècle, est présenté son pastel "Nu assis s'essuyant le pied" (1921).

Il servira d'illustration à un ouvrage sur "l'art et la race" de l'architecte Schultze-Naumburg en étant reproduit face à la photographie médicale d'un homme frappé de difformités. L’œuvre, spoliée au marchand Paul Rosenberg en 1940 en raison de ses origines juives, lui a été restituée en 1945. 

Nombre de trésors confisqués par les nazis ont aussi été troqués ou vendus. Parmi eux, des aquarelles et gouaches d'Otto Dix et George Grosz présentées en fin de parcours.

Un colloque international sur le sujet est programmé à Paris les 27 et 28 mars.