De fait, le sujet est d'une rare complexité et façonne le coeur de la politique de l'emploi en France depuis 1993. Il s'agit d'ausculter la « tuyauterie socio-fiscale » qui mène de la fiche de paie au revenu disponible, ses effets sur l'emploi et la qualification des salariés. C'est Elisabeth Borne, alors Première ministre, qui avait annoncé cette mission lors d'une conférence sociale mi-octobre, dans un contexte de fortes revendications sur le pouvoir d'achat.
Plus précisément, la mission des deux économistes - Antoine Bozio est directeur de l'Institut des politiques publiques (IPP), Etienne Wasmer, professeur à l'université New York Abu Dhabi - porte sur les effets croisés entre seuils d'exonération des cotisations patronales, de versement des prestations sociales et d'imposition sur le revenu.
Dépenser 500 euros pour en gagner 100
Le sujet ayant fait l'objet de nombreux travaux, parfois dissonants ou non aboutis, ce rapport d'étape présente le mérite de faire un état des lieux. Sur le contexte d'abord. Lancés en 1993, renforcés depuis (à l'occasion des 35 heures, du CICE…), les allègements de cotisations ont été concentrés sur les bas salaires pour freiner le chômage des non-qualifiés. « Le problème spécifique du coût du travail a fini par faire consensus », a rappelé Antoine Bozio.Ces allègements, élargis depuis jusqu'à 3,5 fois le SMIC - même si un coup de rabot a été voté dans le projet de loi de finances 2024 -, se sont faits à un coût budgétaire croissant jusqu'à représenter plus de 2,5 % du PIB en 2022. Soit 74 milliards, selon un rapport des députés Marc Ferracci (Renaissance) et Jérôme Guedj (socialiste).
Ce chiffre, ont bien précisé les économistes, ne prend pas en compte les effets positifs des créations d'emplois induites. Elles ont bien eu lieu mais - c'est l'un des points à expertiser - pas toujours là où on les attendait. Des entreprises très concernées par les bas salaires ont étoffé leurs effectifs dans les tranches mieux payées. D'autres, qui l'étaient moins, ont au contraire embauché des smicards.Aujourd'hui, le chômage a beaucoup baissé, sans atteindre le plein-emploi. Les tensions de recrutements demeurent élevées. Les statistiques montrent une très grande concentration des emplois dans la tranche 1 à 1,6 fois le SMIC où se concentre l'essentiel des allègements. La forte augmentation du SMIC depuis deux ans a joué mais un peu seulement, car cette concentration est apparue bien avant.
Surtout, la tuyauterie socio-fiscale conduit pour ces niveaux de salaires à des « taux marginaux effectifs de prélèvements » élevés, pour reprendre le jargon des spécialistes. En clair : tout pris en compte, une augmentation coûte trop cher à l'employeur et rapporte trop peu à l'employé. A telle enseigne qu'il faut parfois dépenser 500 euros pour augmenter le revenu disponible de 100 euros. Les deux parties peuvent préférer en passer par une prime ou des heures supplémentaires.