Ils seraient des as des outils digitaux, seraient rétifs aux collectifs et fuiraient les secteurs jugés polluants. Voici quelques-uns des poncifs relatifs aux représentants de la génération Z, autrement dit les profils juniors - nés entre 1997 et 2010 - que certaines entreprises peinent à attirer et à fidéliser. Ce sont là autant d'idées reçues qui n'illustrent qu'un fragment de la réalité. Le sociologue Marc Loriol, directeur de recherche au CNRS (*), a pu le constater, lors d'une recherche sur les ouvriers de différentes générations d'une usine de moteurs électriques du Territoire de Belfort, dont certains ont aussi travaillé à Peugeot. « Pour comparer les deux emplois, ils parlaient de conditions de travail, de salaire, de reconnaissance, mais jamais d'écologie », résume Marc Loriol.

Plutôt que la génération à laquelle un individu appartient, ce sont davantage ses origines sociale et géographique, et le contexte sociétal, politique ou encore économique, dans lequel il évolue, qui influencent ses attentes. « C'est ce que l'on appelle les effets de position, d'âge, de parcours et de période : selon que l'on est issu d'un milieu urbain ou rural, que l'on est célibataire ou en ménage, et qu'un choc comme l'épidémie de Covid-19 a conduit à télétravailler ou à changer de secteur d'activité, le rapport au travail sera différent », détaille Marc Loriol.

« Minorité assez visible »

Il rappelle que, de tout temps, le « jeune » a cristallisé les lamentations et reproches. Ainsi, selon Socrate, cité par Platon, au cinquième siècle avant notre ère, « les jeunes d'aujourd'hui aiment le luxe, méprisent l'autorité et bavardent au lieu de travailler ». Dans les années 1970, ce même « jeune » était vu comme critique vis-à-vis d'un salariat aliénant et bridant les libertés individuelles.

« Si certains jeunes diplômés choisissaient alors de devenir éleveurs de chèvre en communauté, voire ouvriers, plutôt que cadres, c'était une minorité, comme cela est encore le cas aujourd'hui pour les cadres qui se font pâtissiers ou cavistes. Reste qu'il s'agit d'une minorité assez visible, car issue de milieux sociaux favorisés, ayant fait des études et ayant accès aux moyens de communication », estime Marc Loriol.

Mettre en pratique la théorie

De son avis, « les clichés sur les jeunes peuvent induire les recruteurs en erreur ». « Espérer attirer les membres de la génération Z en proposant de la liberté et du 'à la carte' ne répond pas aux attentes de ceux qui entendent mettre en pratique la théorie qu'ils viennent d'apprendre, et qui souhaitent bénéficier de retours d'expérience et se créer un réseau », dit-il. A l'inverse, le sociologue explique qu'un climat de confiance, une bonne ambiance, du don/contre-don basé sur la réciprocité entre collègues de différentes générations peut inciter les nouveaux arrivants à rester.

« Pour un nouvel arrivant, pouvoir s'intégrer dans un collectif est souvent plus précieux qu'un babyfoot ou une grande flexibilité horaire », souligne Marc Loriol, convaincu que « si on traite les jeunes à part, le risque est de casser le collectif ». Enfin, il exhorte à « ne pas comparer ce qui n'est pas comparable ». « Comparer en 2024 les aspirations d'un jeune à celles d'un représentant de la génération X aujourd'hui en fin de carrière n'est pas pertinent », conclut-il.