« L'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale en 2004 a stimulé les échanges intracommunautaires. La France a elle aussi été concernée par ces mouvements », explique Vincent Aussilloux, chef du département économie finances à France Stratégie, centre de recherche rattaché à Matignon. Mais cela n'a globalement pas été favorable à l'Hexagone. Certes, les ventes tricolores vers les nouveaux Etats membres ont fortement progressé au cours des vingt dernières années. Elles sont passées de 3,5 % du total des exportations hexagonales en 2004 à aujourd'hui 5,5 % selon Maxime Darmet chez Allianz Trade. Mais ces pays restent des partenaires commerciaux de second ordre. Ainsi, en 2022, la France n'était que le troisième client de la Pologne et son sixième fournisseur, loin derrière l'Allemagne. De même, elle n'était que le onzième partenaire commercial de la Hongrie, septième importateur de produits hongrois, douzième exportateur vers le pays dirigé par Viktor Orban.

Surtout, les échanges avec les ex-pays de l'Est, qui dégageaient un excédent pour les produits hexagonaux de 1,5 milliard d'euros en 2004, ont basculé dans le rouge. Au fil des ans, le déficit commercial de la France avec cette zone, qui s'est progressivement élargie à la Roumanie, à la Bulgarie et à la Croatie, n'a cessé de se creuser pour approcher 10 milliards d'euros en 2023, selon la direction générale du Trésor : 39 milliards d'exportations de biens, principalement vers la Pologne et la Tchéquie, mais 49 milliards d'importations.

Important déficit dans l'automobile

Si les échanges concernent une grande variété de biens, ils se révèlent très déséquilibrés sur quelques produits. En premier lieu, l'automobile, où le déficit français s'est élevé à près de 8 milliards d'euros en 2023, avec des importations multipliées par dix par rapport à 2004. Au premier semestre 2023, plus d'une voiture électrique sur cinq importée d'Europe dans l'Hexagone venait de Slovaquie. Le commerce de biens d'équipement se solde, lui, par un déséquilibre de plus de 3 milliards d'euros, et l'ameublement laisse un trou de 1,5 milliard. Par pays, la Tchéquie est celui avec lequel la France affiche le déficit le plus important (3,3 milliards), suivie de la Slovaquie (2,4 milliards) et de la Pologne (1,9 milliard).

Une bonne partie de la dégradation des comptes français s'explique par les délocalisations et les investissements réalisés dans la région. Devenus la base arrière industrielle de l'Allemagne, ces pays ont à la fois tiré parti de la migration des usines tricolores et du développement de la sous-traitance sur leur sol au début des années 2000, alors que la compétitivité de l'industrie hexagonale se dégradait. En quête de coûts plus favorables, l'industrie automobile a été en première ligne.

En 2021, les 3.580 filiales des entreprises tricolores installées dans les pays d'Europe centrale et orientale employaient 570.700 salariés pour un chiffre d'affaires de 105 milliards d'euros. En Pologne, la France est devenue le troisième employeur et le deuxième investisseur étranger. En moins de vingt ans, son stock d'investissements directs dans cette zone a presque triplé. Il avoisinait 35 milliards en 2022. Ce renforcement des relations s'est accompagné d'un accroissement des échanges de services, ce qui se traduit par un solde négatif pour la France (2 milliards d'euros de déficit avec la Pologne en 2022). En revanche, cette stratégie de délocalisation lui permet de rapatrier des dividendes substantiels. Les revenus tirés des investissements directs ont ainsi fait rentrer dans l'Hexagone plus d'un milliard d'euros de la Pologne, 740 millions de la République tchèque et 475 millions de Roumanie.