Les prouesses technologiques des GAFAM tendent à repousser toujours plus loin les limites du possible : Google, Amazon, Facebook, Apple et désormais Microsoft se sont donnés pour mission d’esquisser, concevoir et bâtir le monde de demain. Un monde régi par la technologie, tout en câbles et en connexions, où le virtuel le disputerait au réel… La limite entre ces deux entités, rendue déjà extrêmement floue par la réalité virtuelle, s’apprête à devenir encore plus ténue « grâce » à la démocratisation de la réalité augmentée.

2 réalités, 2 définitions

La réalité virtuelle et la réalité augmentée partagent un seul et unique point commun : celui d’être générées par une machine. La ressemblance s’arrête là. Tout l’intérêt de la réalité virtuelle réside dans sa capacité à vous projeter - d’aucuns diraient enfermer - dans un univers entièrement fictif. Une immersion totale dont rêvent tous gamers dignes de ce nom. Et ça, l’industrie du jeu vidéo l’a bien compris, à commencer par Playstation.

Lancé en octobre 2017, son casque Playstation VR s’est jusqu’ici écoulé à plus de 2 millions d’exemplaires, et devrait voir son catalogue de jeux grimper à 280 titres à la fin de l’année 2018. Mais restreindre les formidables applications de la réalité virtuelle à la seule industrie du jeu vidéo serait un flagrant délit de mauvaise foi.

Le milieu médical s’est lui aussi emparé de cette technologie à des fins plus louables qu’une simple expérience de jeu : les casques de réalité virtuelle permettent notamment au corps médical de traiter les patients atteints de phobies et d’addictions. Si la réalité virtuelle vous extrait du monde réel pour des contrées artificielles, la réalité augmentée préfère inclure des éléments virtuels dans le monde réel au moyen d’une interface 3D. C’est pour cette raison que la réalité virtuelle (RV) est généralement perçue comme « ludique » et la réalité augmentée (RA) comme « utile ».

La réalité augmentée, ou la projection sur demande

Juin 2012, Google présente au monde entier sa paire de lunettes révolutionnaires baptisées Google Glass. Trois ans plus tard, le projet est définitivement enterré pour mieux ressusciter à l’été 2017 sous l’appellation Glasses Enterprise Edition, réservé au monde de l’entreprise. L’échec des Google Glass auprès du grand public ne doit pas faire oublier l’essentiel : c’est véritablement à partir de 2012 que la réalité augmentée devient le nouvel enjeu des GAFAM, au même titre que l’intelligence artificielle. Une nouveauté technologique qui fait particulièrement saliver les marques de prêt-à-porter et de mobilier, parmi lesquelles Ikea. Le géant suédois avait tout intérêt à s’approprier la RA pour pallier au principal problème rencontré par ses clients : la projection.

Comment s’assurer que ce canapé taupe respectera les tons de mon salon ? Comment être certain que cette superbe table basse hyper-moderne pourra s’accorder à mon intérieur très classique ? Comment faire pour s’éviter toutes mauvaises surprises au niveau des dimensions ? Ces sempiternelles questions, qui assaillent chaque nouveau client lorsqu’il débarque sur le site internet, sont autant de freins à l’achat qu’Ikea a décidé de tourner à son avantage. Septembre 2017, le géant du mobilier en kit lançait Ikea Place, son application de réalité augmentée sur l’Appstore. Grâce à ARKit, la réalité augmentée made in Apple, il est désormais possible de « tester » les meubles et divers objets de déco’ proposés par le géant suédois directement chez soi, dans la pièce de son choix. L’habituelle expédition de repérage sur place n’a dès lors plus aucun sens : la réalité augmentée permet de s’y adonner en quelques minutes depuis son smartphone.

La réalité augmentée, substitut des cabines d’essayage ?

Les marques du prêt-à-porter commencent elles aussi à mesurer l’ampleur du potentiel commercial de la réalité augmentée. À l’occasion de la sortie du film Pitch Perfect 3, l’application YouCam Makeup a proposé à ses utilisateurs d’essayer eux-mêmes un des maquillages du film via la réalité augmentée. Outre l’utilisation promotionnelle extrêmement efficace auprès du jeune public ciblé par le film, il est intéressant de noter que la réalité augmentée peut se décliner sur quasiment n’importe quel produit : le maquillage en l’occurrence, mais aussi les chaussures, les bijoux, les vêtements, les chapeaux, les sacs à mains, les lunettes… Les possibilités sont infinies. Pour preuve, le numéro 1 de la vente en ligne Amazon a déposé le brevet d’un miroir à réalité augmentée pas plus tard que cette année. Il suffit de se placer devant un miroir équipé d’écrans, de projecteurs, d’algorithmes et de caméras et de sélectionner la tenue de son choix.

Les vêtements seront alors directement « portés » par les utilisateurs du miroir, et il ne restera plus qu’à les mettre ou non dans le panier. Petit plus du miroir : il peut projeter l’utilisateur dans un environnement virtuel donné - un parc, une salle de sport… - afin qu’il se rende compte par lui-même si la tenue est adaptée à l’occasion ; un luxe que ne pourront jamais offrir les meilleures cabines d’essayage. Bien que la vente d’habits en ligne ait explosé ces dernières années, le principal critère qui dissuade bon nombre de clients de commander en ligne reste l’incertitude : incertitude quant à la taille, à la matière, à la qualité, à la couleur, à la forme… Si Amazon parvenait à restreindre ces incertitudes au rang de préoccupations mineures grâce à son « miroir magique », il pourrait convertir plusieurs millions de consommateurs à la vente en ligne, et asseoir un peu plus sa domination déjà écrasante sur ses concurrents.

La réalité augmentée au service du divertissement

Parmi tous les éditeurs de jeux vidéos restés ébahis face à la myriade de possibilités offertes par la réalité augmentée, un seul a eu l’audace de se lancer dans l’aventure : Niantic. En 2012, cette ancienne filiale de Google lançait Ingress, son tout premier jeu mobile en réalité augmentée : le succès est quasi-immédiat avec 20 millions de téléchargements. Opposant les « éclairés » et les « résistants » dans une éternelle lutte de territoires, Ingress a posé les bases du futur best-seller de l’entreprise : Pokémon Go. Véritable phénomène de société et détenteur de records en tous genres, il a définitivement fait entrer la réalité augmentée dans une nouvelle ère. Fort de cet engouement aux allures de folie furieuse - souvenez-vous des gigantesques rassemblements dans les parcs et squares du monde entier… - Niantic a d’ores et déjà prévu de récidiver au second semestre 2018 avec une autre licence autrement plus vénérée que Pokémon : Harry Potter.

Si l’industrie du jeu vidéo mobile se frotte les mains, les réseaux sociaux ne sont pas en reste. Snapchat et Facebook ont tous deux lancé en décembre 2017 leur propre logiciel de création en réalité augmentée : Lens Studio pour la boîte de Venice Beach lane, et Facebook AR Studios pour la firme de Menlo Park. Le premier permet de créer et partager des lenses, ces filtres interactifs 3D - chiens, colliers de fleurs, etc… - qui ont fait la renommé de Snapchat chez la génération Z, au point de détrôner Facebook. Le second offre à ses utilisateurs la possibilité de confectionner leur propre masque en réalité augmentée, ainsi que des animaux et divers effets visuels.

Les deux réseaux sociaux les plus puissants du monde sont à couteaux tirés depuis 2013, après que le co-fondateur Evan Spiegel a sèchement refusé l’offre de rachat de 3 milliards de dollars de Mark Zuckerberg. Après la bataille des stories, Snapchat et Facebook s’apprêtent à se livrer une autre bataille, tout aussi sanglante que la précédente, pour la domination du marché de la réalité augmentée.

Considérée comme fantaisiste il y a encore quelques années, la réalité augmentée est bel et bien devenue une technologie accessible au commun des mortels. Lentement mais sûrement, elle tend à se démocratiser via les jeux vidéos, les applications d’e-commerce, et même les réseaux sociaux. Sans pour autant altérer notre lien à la réalité, le développement de la réalité augmentée risque toutefois de bouleverser durablement notre manière d’interagir avec le monde extérieur, dès lors que des lunettes ou des lentilles spécialisées dans la réalité augmentée feront leur apparition. Vuzix et Magic Leap s’y attellent déjà…