Six en avril 2023. Six autres en juillet. Et encore six en septembre. En cinq mois, la PME charcutière Festein d'Alsace, à Obernai, près de Strasbourg, a attribué des vélos à 18 de ses quelque 100 salariés pour leurs trajets domicile-travail, comme pour leur usage privé. « Nous sommes situés dans une zone artisanale à laquelle 95 % de nos collaborateurs accédaient en voiture et seuls, plus de 60 % d'entre eux habitant à moins de dix kilomètres », explique Audrey Golstein, directrice marketing, communication et RSE de la PME, qui affiche un chiffre d'affaires de 28 millions d'euros.
Tout comme le brasseur Kronenbourg situé sur la même commune, c'est la hausse des prix à la pompe qui a déclenché le mouvement dans une volonté affichée d'en réduire le poids pour les salariés. Ces employeurs prennent en charge tout ou partie de la location (généralement avec option d'achat par le salarié) des vélos (souvent à assistance électrique, VAE) auprès d'un spécialiste du secteur, allant ainsi au-delà du principe des forfaits mobilité durable visant le développement des alternatives à l'autosolisme. Kronenbourg (un milliard de chiffre d'affaires) avance environ 100.000 euros par an pour 75 vélos.
A l'heure de la chasse aux émissions de gaz à effet de serre, la petite reine est aussi une solution toute trouvée. « Nous voulions promouvoir la santé physique et mentale des collaborateurs », dit encore Nathalie Hurtard, directrice des relations sociales du brasseur. Selon un rapport remis avant le Covid au ministère des Transports, les salariés faisant du vélo requièrent 15 % d'arrêts maladie en moins, tandis que le Medef estimait leur productivité augmentée de 6 à 9 %.
Marque employeur
Pour les patrons qui proposent des vélos attribués ou de fonction, il est également question d'image et de marque employeur à faire valoir lors de recrutements, les courts trajets à deux roues étant selon les endroits réputés moins pénibles que ceux en voiture, sujets aux bouchons. « La limitation de l'impact carbone et la marque employeur sont souvent liées », observe Jean-François Dhinaux, secrétaire de la Fédération des acteurs du vélo en entreprise (Fave), qui rassemble une dizaine d'entreprises - dont la sienne, Azfalte, qui réalise « entre 3 et 5 millions de chiffre d'affaires » -proposant des services de location, avec formation des utilisateurs et maintenance à la clé. « Dans le monde du service, les trajets domicile-travail peuvent peser jusqu'à 30 % de l' impact carbone . L'enjeu est énorme. »
« Passer par les entreprises pour mettre en selle les citoyens permet de contourner plusieurs freins comme le coût d'achat, une méconnaissance des standards de choix et des interrogations quant à l'entretien », estime Arthur de Jerphanion, directeur de Tandem, dont les quinze salariés animent depuis Paris la location avec option d'achat de vélos sur tout le territoire national. Selon l'Insee, seuls 3,1 % des salariés partaient travailler à vélo en 2021. Atteindre l'objectif de 12 % que s'est donné la France pour 2030 dans le cadre de sa stratégie nationale bas-carbone représenterait une baisse non négligeable des émissions de gaz à effet de serre. Un tel saut ne paraît pas impossible, en tout cas à l'échelle de l'entreprise. De janvier à mai 2024, 430 des 2.750 salariés de la société de crédit Cofidis à Villeneuve-d'Ascq, près de Lille, ont sauté le pas, y faisant passer la part du vélo de 3 % à 16 %.
Le gros du marché relève des trajets domicile-travail. Mais certains employeurs n'hésitent pas à pédaler pour les trajets professionnels. La filiale Paris intra-muros du spécialiste de la propreté GSF s'est ainsi adjoint une flotte de quinze vélos partagés pour ses salariés administratifs et de support sur le terrain. Avec différents modèles à la clé, allant du cargo pour les postes opérationnels aux VAE dotés de sacoches de rangement pour emporter des documents.
Pression foncière
Les entreprises peuvent aussi voir dans le vélo un atout face à la pression foncière, subie, par exemple, lors de déménagements. 2R Aventure, à Bondues, dans le Nord, dit être en contact avec les porteurs de méga-usines près de Dunkerque pour faciliter la mise en place d'infrastructures cyclables faute de grands parkings pour les voitures. « Un stationnement équivaut à neuf places de vélo », rappelle Noémie Rogeau, sa PDG, qui note, par ailleurs, une appétence croissante des employeurs pour la bicyclette. Crédit Mutuel Alliance Fédérale a même profité de la suppression de places de voiture pour construire un nouveau bâtiment à son siège de Strasbourg, qui rassemble environ 10.000 salariés. Inauguré en mai dernier, il abrite un parking vélo de 751 places incluant « 70 prises électriques, un atelier d'autoréparation ainsi que 200 casiers et 12 douches pour les salariés », décrit Sophie Van Hoove, la directrice générale adjointe.
La partition est loin de se jouer dans les seules métropoles, souligne Olivier Issaly, président de la Fave et PDG de Zenride, l'un des plus gros loueurs de vélos avec 400 entreprises clientes et 7,2 millions de chiffre d'affaires : « 80 % de nos vélos sont mis en service hors des dix plus grandes villes de France. » Il relève que les employeurs s'inquiètent encore beaucoup du coût de l'opération- bien que des incitations fiscales existent - et de la sécurité de leurs salariés à vélo : « Nous les invitons à encadrer la pratique avec, par exemple, des révisions annuelles des cycles. »
L'essor du vélo d'entreprise reste récent et avec lui, le secteur qui le permet. Il compte une trentaine d'acteurs, pour beaucoup créés ces dernières années et souvent de petite taille. « Nous sommes sur un nouveau métier en France qui existait à peine il y a six ans, période à laquelle le marché a commencé à se développer », commente Jean-François Dhinaux, insistant sur sa contribution à la « filière vélo globale », qui inclut l'achat de cycles et d'accessoires, plus leur maintenance. Elle pesait 3,4 milliards en 2023, selon l'observatoire du cycle.