La création d'entreprises en France bat un record historique avec plus de 1,1 million de nouvelles entreprises comptabilisées par l'Insee en 2024. C'est la quatrième année de suite que ce chiffre dépasse le million, preuve que l'entrepreneuriat est désormais largement démocratisé et touche toutes les strates de la population.

« C'est bien une tendance de fond et pas un effet de mode », appuie Marie Adeline-Peix, directrice exécutive chargée de l'action territoriale de Bpifrance. Depuis quinze ans, la dynamique entrepreneuriale a connu deux accélérations marquées. La première, en 2009, avec l'entrée en vigueur du régime de l'autoentrepreneur, devenu depuis microentrepreneur. Cette année-là, l'Insee enregistre plus de 580.000 créations, en hausse de 75 % par rapport à 2008.

En simplifiant la création et la gestion d'une entreprise individuelle sur quelques principes- pas de cotisations sociales sans chiffre d'affaires, exemption de TVA, déduction forfaitaire des frais et comptabilité réduite au minimum -, le régime de l'autoentrepreneur s'est vite imposé comme le choix numéro un des créateurs et créatrices d'entreprise, jusqu'à représenter les deux tiers des nouvelles entreprises.

L'autre tournant intervient dix ans plus tard. On l'associe souvent à la crise sanitaire du Covid mais, dans les faits, ce nouveau boom démarre un peu plus tôt. Alors que les chiffres annuels oscillent autour de 600.000, l'année 2018 affiche une hausse de plus de 100.000 nouvelles entreprises. On parle alors d'ubérisation de l'économie, dont l'un des principaux stigmates est l'explosion du nombre d'autoentrepreneurs dans les transports et la livraison. La hausse se prolonge ensuite pour, finalement, dépasser le million à partir de 2020.Ce qu'on pensait être un effet conjoncturel apparaît, avec le recul, comme un véritable fait de société dont les racines sont autant culturelles que structurelles. « Nous sommes passés d'une société managériale à une société entrepreneuriale », explique Karim Messeghem, professeur à Montpellier école de management.

« Des tranches de vie »

La France est loin d'être une exception entrepreneuriale, comme le relève l'étude internationale GEM (Global Entrepreneurship Monitor) à laquelle contribue l'université de Montpellier. « C'est une tendance de fond. Les dynamiques sont aussi très fortes au Canada, aux Etats-Unis, au Moyen-Orient, ajoute le chercheur. En Europe, la France est une bonne élève. La dynamique entrepreneuriale y est plus marquée qu'en Allemagne ou en Italie. »

Preuve de ce bouleversement de paradigme, l'image de l'entrepreneuriat a beaucoup changé, comme le note Gaël Gueguen. Ce professeur en entrepreneuriat à Toulouse Business School (TBS) a épluché les articles de presse grand public depuis vingt ans. « On est passé d'un traitement macro, par exemple sur l'impact économique et politique, à un traitement micro. L'entrepreneuriat est aujourd'hui incarné. Ce sont des histoires familiales, des tranches de vie. » Cette représentation de la figure entrepreneuriale est devenue plus positive. Elle est aussi le fruit d'un effort constant, depuis la fin des années 1990, pour sensibiliser la jeunesse dans les écoles de management, d'ingénieurs puis à l'université.

Elle se nourrit enfin de ce que Sylvie Sammut, directrice de Montpellier école de management, qualifie de « quête de la liberté ». Parmi les motivations pour entreprendre, être indépendant, ne pas avoir à rendre des comptes, être son propre patron arrivent toujours en tête. Viennent ensuite la recherche de sens et l'enrichissement. En période de crise, l'entrepreneuriat de nécessité, celui qui consiste à créer son propre emploi, revient en première ligne.

Mais dans une économie en berne et à faible croissance, difficile de tirer son épingle du jeu. Le chiffre d'affaires moyen d'un autoentrepreneur actif est par exemple inférieur à 8.000 euros annuels. Et beaucoup de jeunes entreprises sont à la peine. « Les niveaux de précarité augmentent, constate Sophie Jalabert, déléguée générale du réseau d'accompagnement BGE. Ces entreprises ont peu de chiffres d'affaires. » Et de rappeler que vouloir et pouvoir sont différents. « Je veux être indépendant, c'est un projet de vie, pas un projet économique », explique celle qui souhaite qu'on travaille davantage sur les compétences des porteurs de projet.

Cinq millions d'entreprises en France

Ce niveau de créations élevé se traduit mécaniquement par une augmentation du nombre d'entreprises. Malgré un nombre de défaillances lui aussi en hausse, le solde reste positif. On compte en France plus de cinq millions d'entreprises, dont la moitié d'entreprises individuelles, et environ 7.500 d'ETI et grands groupes (plus de 250 salariés et 50 millions d'euros de chiffre d'affaires). Tandis que le gâteau à se partager a, lui, tendance à stagner.Un des signes à scruter de près est le taux de nouvelles entreprises avec des salariés. « Seulement 2 % des nouvelles entreprises sont employeuses dès leur création, rappelle Gaël Gueguen, professeur à TBS. Et si l'on regarde seulementles nouvelles sociétés [SARL, SAS…], il y a dix ans, 12 % d'entre elles avaient des salariés à leur création. Aujourd'hui, elles ne sont plus que 5 %. » On peut évidemment se réjouir de l'augmentation du nombre de créations d'entreprises. On peut aussi espérer que ces entreprises aient un impact réel sur l'économie, l'emploi, et la création de valeur.