Avec la censure du gouvernement Barnier, l'économie française plonge dans une nouvelle période d'incertitude et de confusion, quelques mois à peine après la dissolution de l'Assemblée nationale, en juin dernier. Cela « laissera incontestablement des traces », mais elles « doivent être les moins profondes possibles », a immédiatement réagi le président du Medef, Patrick Martin.
Dans la nuit de mercredi à jeudi, l'agence de notation Moody's a, elle aussi, mis en garde. « Cet événement est négatif pour le crédit de la France », a-t-elle alerté. Cela « réduit la probabilité d'une consolidation des finances publiques » du pays car « un nouveau Premier ministre a des chances de faire face aux mêmes difficultés que Michel Barnier ». Avec la censure, le projet de budget pour 2025 est compromis. Selon Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'OFCE, « il y a un risque que l'incertitude aille grandissante, ce qui pèsera sur l'investissement, l'emploi et la consommation ».
Certains conjoncturistes commencent déjà à revoir à la baisse leurs prévisions de croissance pour 2025. La crise politique récente a ainsi conduit l'économiste d'Allianz Trade, Maxime Darmet, à réduire son objectif de 0,2 point. « Il est difficile d'envisager une croissance supérieure à 0,7 % désormais », affirme-t-il. Selon lui, le scénario d'une récession technique en France ne peut plus être écarté.Charles-Henri Colombier, directeur de la conjoncture chez Rexecode, est sur la même ligne. « Le risque de voir le PIB se replier légèrement au quatrième trimestre 2024 n'est pas négligeable, et cette tendance pourrait se prolonger au premier trimestre 2025 », estime l'expert, qui a ramené de 0,7 % à 0,5 % sa prévision pour l'an prochain.Climat déjà morose
Cette nouvelle secousse politique intervient dans un climat économique déjà attentiste et morose. Depuis plusieurs mois, les entreprises souffrent d'une conjoncture dégradée. Dans l'industrie, la production a quasi stagné en octobre, selon l'Insee. Alors que les carnets de commandes peinent à se remplir, le taux d'utilisation des capacités de production est tombé à 75 %, soit son niveau le plus bas depuis 2010.Sans visibilité sur le plan politique, deux PME sur trois ont prévu de reporter ou même d'annuler leurs projets d'investissement dans l'Hexagone, selon le baromètre Bpifrance Le Lab-Rexecode. De même, près d'un investisseur étranger sur deux a réduit la voilure sur le territoire, d'après EY.
« Ce qui est préoccupant, c'est le risque de défiance envers la France. Les projets annulés ne seront pas rattrapables », prévient Charles-Henri Colombier. Qui plus est, la consommation des ménages est, elle aussi, loin de la reprise espérée. Dans le flou sur ce qui les attend, notamment sur le plan fiscal, le moral des Français décline au lieu de remonter comme espéré, ce qui les conduit à épargner.
L'économiste de l'OFCE Raul Sampognaro a évalué l'impact de l'incertitude politique sur l'économie française. Selon ses calculs, le coût pour la croissance pourrait être de 0,1 point cette année et 0,3 point en 2025 « en raison notamment de l'affaiblissement de l'investissement privé ». « La censure du gouvernement Barnier pourrait amplifier ce choc si elle devait accroître l'incertitude, ce qui n'est pas certain », ajoute-t-il.