Il faut se préparer à un monde de plus en plus technologique, innover avec les nouvelles technologies pour rester compétitif. Mais en période de crise, comment faire plus avec moins ? Et s’il existait d’autres manières d’innover, moins coûteuse, plus respectueuses de l’humain et de l’environnement ? Bienvenue dans la low-tech et l’innovation frugale.
Dans un contexte difficile où la crise sanitaire perdure, où une crise économique se profile, il devient urgent de trouver les ressorts pour rebondir, pour préparer le monde d’après.
Le XXème siècle a été l’ère du développement technologique : mécanisation, industrialisation, automatisation. Il nous a menés de la machine à vapeur à la voiture électrique et aux navettes spatiales.
Le XXIème siècle sera celui de la révolution numérique. Grâce à Internet, l’Industrie 4.0 va permettre de relier l’intelligence artificielle, l’internet des objets, la cobotique (collaboration humains-robots) dans un système global interconnecté. Pour survivre dans ce monde high-tech de plus en plus performant, il faudra maîtriser les algorithmes et les big datas, s’armer d’ingénieurs et de data scientists.
Aujourd’hui, face au dérèglement climatique en grande partie provoquée par l’activité thermo-industrielle, la technologie entend repeindre le monde en vert avec de la croissance verte, voire même réparer le climat avec de la géo-ingénierie.
Mais face aux dangers que représente la technologie pour la souveraineté, la démocratie, la justice sociale et l’environnement, de plus en plus de voix remettent en cause le techno-solutionnisme.
La technologie n’est pas neutre. En témoigne le débat actuel sur le déploiement de la 5G, un débat qui révèle les tensions entre progrès, santé, société, politique…
Low-tech contre high-tech
Oxymore s’il en est, la low-tech (basse technologie) s’est construite en opposition à la high-tech. Ce sont des solutions simples, pratiques et économiques qui répondent à trois critères (source Low-Tech Lab) :
• Utile : elle répond à des besoins essentiels (énergie, alimentation, habitat, santé, transports…)
• Durable : elle est robuste, réparable, recyclable, à faible impact écologique et social
• Accessible : son coût minime et sa faible complexité technique la rende abordable
Quelques exemples de solutions low-tech : le cuiseur solaire parabolique, les larves de mouches soldats noires contre les déchets, l’hydrophonie (culture de plantes hors-sol), le Fairphone…
Le mouvement est né dans les années 60-70 aux Etats-Unis avec les « technologies douces », le concept de « small is beautiful » (Ernest Friedrich Schumacher), déjà en rupture avec les hautes technologies.
Aujourd’hui, le mouvement low-tech est devenu un style de vie. Ce n’est pas le retour à la lampe à huile, mais un usage raisonné et responsable des technologies actuelles. PC sous linux, cartes Raspberry Pi et Arduino, imprimante 3D, panneaux solaires… font partie de la panoplie des outils low-tech.
" L’idée n’est pas d’arracher les smartphones des gens. Mais c’est de renoncer à l’obsolescence des désirs voulue par le marketing qui fait qu’on change de téléphone tous les 18 mois ", précise Philippe Bihouix, ingénieur centralien, auteur de L'âge des low tech, (Seuil, 2014).
C’est une démarche encore perçue, à l’image de l’écologie, comme une source de contraintes, de sacrifices, voire de perte de prestige (vous prendrez plutôt un écran 8K ou une toilette sèche ?). Mais au-delà de la démarche technique, la low-tech se veut aussi une alternative systémique qui revendique un autre modèle de société.
Mais peut-on innover avec de la low-tech ? Oui, car elle fait partie de la démarche d’innovation frugale.
L’innovation frugale pour faire mieux avec moins
Théorisée par Navi Radjou, conseiller en innovation et leadership et auteur de Le Guide de l’Innovation Frugale (Diateineo, 2019), l’innovation frugale vient de l’esprit Jugaad. Ce mot Hindi signifie : la capacité ingénieuse à improviser une solution simple mais efficace dans des conditions adverses et avec peu de moyens.
Le Juggad, c’est l’esprit de la débrouille, qu’on appelle chez nous le système D. C’est aussi l’esprit Mc Gyver, ce héros de série américaine qui combine les sciences et l’ingénierie avec l’utilisation astucieuse d’objets du quotidien pour résoudre des problèmes complexes.
L’innovation frugale s’appuie sur trois principes fondamentaux :
• La simplicité : plutôt que de concevoir des produits ultra-sophistiqués, on réduit la complexité et on rend plus facile l’utilisation
• L’accessibilité : on se rapproche des utilisateurs pour répondre à leurs besoins, sans ajouts superflus, ce qui diminue les coûts et rend la solution plus abordable
• La réutilisation des ressources disponibles (techniques, matériaux…) plutôt que de réinventer la roue
Comme on peut le constater, on retrouve des valeurs similaires à celles de la low-tech.
• Fonctions superflues | • Juste la fonction nécessaire |
Quelques exemples d’innovations frugales :
• En Italie pendant la crise de la Covid-19, le Dr Favero a co-créé en quelques jours avec un groupe de makers un composant imprimable en 3D permettant d’adapter un masque de plongée Decathlon en un respirateur pour les malades, ce qui a permis de sauver des milliers de vies.
• Le Raspberry Pi est une mini carte-mère bon marché largement utilisées par des makers pour développer des solutions low-tech. HeartFelt Technologies (Angleterre) a construit autour de ce composant un dispositif non intrusif pour surveiller l’insuffisance cardiaque à la maison.
L’innovation frugale n’est pas une méthode « prêt-à-porter », mais avant tout un état d’esprit à cultiver dans ses projets.
Les différentes stratégies d’innovations [par Tru Dô-Khac, source X-Open-Innovation]
Innover pour rebondir après la crise
Innover est impératif. Si on n’innove pas, c’est le concurrent qui va innover. Mais innover doit être désormais porteur de sens, de valeur et d’éthique.
« Innover, mais dans quel but ? L'innovation n'a de sens que si elle est mise au service d'une cause, qui va au-delà de l'aspect financier et des profits à court-terme. […]. Elle doit être pensée, en amont, pour créer non seulement de la valeur économique mais surtout être une 'innovation durable'. » déclare Rodolphe Durand, professeur à HEC.
Pour rebondir après la crise sanitaire, la plupart des entreprises espèrent pouvoir a minima retrouver le niveau d’avant la crise et faire mieux qu’avant.
L’arrêt de l’activité pendant cette crise est peut-être l’occasion de redéfinir les valeurs de son entreprise, le sens que l’on veut donner à l’innovation. C’est ce que propose Navi Radjou dans son webinar Reinventing Yourself.
Lorsque que vous êtes à terre, terrassé par le choc, continuez de creuser, de creuser jusqu’à trouver le sens de votre existence. Vous trouverez alors des réponses aux questions : comment voyons-nous le monde (notre mission), pourquoi existons-nous (nos objectifs), qui sommes-nous (nos valeurs). Les entreprises, qui ont adopté cette démarche ont réalisé ce que Navi Radjour appelle une réinvention consciente, et ont développé un fort impact social et environnemental. Decathlon par exemple a initié en 2019 le programme Vision 2030, une vision du monde et de Decathlon pour 2030. Stoppé dans leur élan par la crise de la Covid-19 au printemps 2020, plutôt que de baisser les bras, ils l’ont réinventé en Vision 2021 pour pouvoir l’appliquer localement dès la fin de la crise.
High-tech vs low-tech ?
Pour Navi Radjou, « Plutôt que s’adonner à un débat purement intellectuel low-tech vs high-tech, je suggère que les entreprises françaises utilisent ces deux approches complémentaires de l’innovation frugale pour co-construire un nouveau modèle de développement économique inclusif et régénérateur. » (Décision Durable n°44).
Comme il le fait remarquer, on peut trouver des solutions très high-tech néanmoins frugales et durables, comme ce test pour Covid-19 sur bandelette papier coûtant 6 €, conçu par des scientifiques du CSIR avec des processus R&D formels.
Dans un commentaire sur une publication LinkedIn de Gilles Babinet, Frédéric Bordage, créateur du site GreenIT.fr confirme cet avis : « Le sujet de fond c'est la raison et le déclivage de la pensée. Le numérique étant une ressource critique non renouvelable épuisé dans 30 ans, faut-il détecter des cancers avec des IA (high-tech) ou avec des chiens (projet K-Dog de l'Institut Curie). Il existe une voie médiane qui permet d'associer le meilleur de la low et de la high tech pour économiser cette ressource. […] Tant qu'on opposera technologie et écologie, décroissants technophobes et geek capitalistes technophiles on fera du sur place […] Si nous voulons un avenir, il faut redevenir ingénieux et associer judicieusement low-tech et high-tech. »
Alors, êtes-vous prêt à innover ?
Les études Nielsen montrent que 85% des nouveaux produits de consommation échouent dans l’année après leur lancement. Ces produits « innovants » ne répondent pas aux véritables besoins des clients.