Remplacer le parc automobile de son affaire de terrassement pour améliorer son bilan carbone, Annabelle Bauchiero n'est pas contre. Le problème, dit-elle, c'est que l'on parle, outre des trois Clio, de deux gros camions et d'engins de chantier. « Et là, sans parler de l'offre indisponible du marché, ce n'est plus le même rapport financier : changer un camion représente un coût équivalent à quasiment un an de chiffre d'affaires », explique cette cheffe d'entreprise de l'Isère qui emploie six salariés et dont l'activité pèse, les bonnes années, entre 600.000 et un million d'euros.

Comme elle, le 5 mars dernier, ils étaient une trentaine de petits patrons et de professionnels du bâtiment à participer, sous la houlette de Bouygues Construction, au deuxième atelier à distance ouvert par Pacte PME dans le cadre de son « Alliance pour la décarbonation et la transition énergétique ». L'association a été créée en 2010 sur une initiative patronale pour « mieux organiser le dialogue entre donneurs d'ordres et sous-traitants ». Elle compte aujourd'hui 40 grands comptes adhérents et annonce la couverture de plus de 15.000 PME.

Le premier atelier avait réuni, quelques jours plus tôt, quarante-cinq petits industriels de la métallurgie, dont une bonne partie était fournisseurs de Thales, toujours sur le même principe : une présentation experte des enjeux sectoriels et des objectifs de décarbonation, un exemple de bilan carbone d'une entreprise type et des pistes pour décarboner.

Charte d'engagement

Annoncée l'été dernier, l'initiative rassemble à ce jour dix grands groupes - le Crédit Agricole est le dernier en date à avoir rejoint Schneider Electric, Sanofi, Orano et quelques autres. « Nous aimerions arriver à quinze l'été prochain », indique François Perret, directeur général de Pacte PME.

Les grandes entreprises, visées par la directive européenne CSRD sur les normes et obligations de reporting extra-financier, ont quelque bénéfice à accorder un peu de temps à leurs fournisseurs : ces derniers sont à l'origine de 25 à 75 % de leurs émissions indirectes de CO2. C'est le fameux « scope 3 » du protocole sur les gaz à effet de serre, qui correspond notamment à l'extraction de matériaux achetés pour la réalisation des produits. En tout état de cause, « avec 4 millions d'entreprises dans le pays, dont 150.000 PME, il est impossible de ramener le sujet de la transition écologique au CAC 40 ou au SBF 120 », pose François Perret.

Loin d'être toutes acquises à la cause du bas carbone, les PME qui ont jusqu'à présent répondu à l'appel des donneurs d'ordres adhérents de l'alliance se prêtent avec attention aux ateliers et phosphorent souvent volontiers pour imaginer des solutions. Mais combien signeront la charte d'engagement qui leur est proposée ?

Bilan carbone

Le ratio d'adhésion reste aujourd'hui insuffisant, confie un participant à une réunion interne. « Nous avons passé une matinée à réfléchir en comité stratégique sur la manière d'augmenter le taux de transformation et nous avons eu une longue discussion sur la juste formulation à adopter : être offensif, mais pas trop, et tout de même établir clairement la volonté de les emmener », s'épanche-t-il. Car si, sur le listing de 130 PME partenaires fourni par Bouygues Construction, la moitié a répondu au questionnaire initial de Pacte PME pour évaluer leur maturité carbone, six seulement ont signé la charte.« Une première vague de 50 entreprises s'est engagée auprès des cinq prestataires que nous avons sélectionnés », indique de son côté François Perret. Les parcours démarrent dans la plupart des cas par un bilan carbone alors que deux entreprises sur trois visées par le programme n'ont rien mis en place.

Pacte PME a pour objectif d'embarquer 3.400 PME, principalement industrielles, d'ici 2026 - initialement fin 2025. L'Etat, qui s'appuie sur l'Ademe et Bpifrance, table de son côté sur l'accompagnement d'un millier d'entreprises par an. « Si, in fine, l'ambition est bien d'emmener 26.000 entreprises industrielles vers la décarbonation, il faudrait, au même rythme, 26 ans », glisse François Perret, pour promouvoir son initiative. Soutenue par la Direction générale des entreprises, l'alliance reçoit une participation de 1,7 million de l'Etat. Une paille au regard des 4,2 milliards de budget de l'Ademe.

Obtenir des marchés

Le ticket d'entrée à ce guichet simplifié, qui est d'environ 6.000 euros, peut encore refroidir une entreprise de moins de 50 salariés, d'autant que les investissements à venir ne sont pas comptabilisés. A son échelle, Annabelle Bauchiero évalue les coûts de la décarbonation jusqu'à 25.000 euros par an « sans compter le temps qu'il faudra y consacrer ». Mais, dit-elle, « nous serons tous amenés à nous engager pour continuer à obtenir des marchés ».

Les donneurs d'ordres avancent fermement leurs pions. « Plus vite vous vous préparez, mieux vous serez armé pour remporter nos futurs marchés », a glissé Sébastien Ravily, directeur des achats responsables de Bouygues Construction, lors de l'atelier.

Invité, par Sanofi, à rejoindre le programme de Pacte PME, Tebubio, une PME des Yvelines (22 millions d'euros de chiffre d'affaires pour 90 salariés), vient d'entamer son bilan carbone. Ce distributeur de produits biochimiques pour les laboratoires de recherche sait déjà qu'il devra mener des actions sur le packaging en polystyrène. Mais sur le transport à travers plusieurs continents, « nous n'avons pas beaucoup la main », prévient un responsable.