C'est à la fois l'une des mesures les moins commentées du budget et l'une de celles qui affecteront le plus de contribuables. Dans le texte issu du Sénat, en discussion en commission mixte paritaire (CMP), figure l'instauration d'un seuil unique d'exemption de TVA pour les petites entreprises, fixé à 25.000 euros de chiffre d'affaires annuel - bien plus bas que les seuils actuellement en vigueur.

De quoi semer la pagaille chez quantité de microentrepreneurs et indépendants, qui peuvent jusqu'à présent choisir d'être dispensés de collecter la TVA quand leur chiffre d'affaires annuel ne dépasse pas un certain niveau, selon leur activité : 85.000 euros pour l'année passée pour le commerce de biens et 37.500 euros pour les prestations de services. Avocats et professions libérales disposent de seuils spécifiques.

Cette dispense libère les entreprises qui en profitent d'une démarche administrative fastidieuse - encaisser la TVA auprès de leurs clients, la reverser à l'Etat - et leur permet de pratiquer des prix hors TVA, donc plus bas. En contrepartie, ils ne peuvent pas se faire rembourser la TVA sur leurs achats par l'Etat.

« Douche froide »

L'abaissement des seuils au niveau unique de 25.000 euros va faire sortir des clous beaucoup de petites sociétés. Selon Matignon, la mesure concernerait environ 10 % des entreprises éligibles, soit 200.000 environ. Une estimation peu ou prou confirmée par la Fédération nationale des autoentrepreneurs (FNAE), qui se bat contre la réforme. « La douche est très froide pour ceux qui font de l'achat-revente, souligne le président de la FNAE, Grégoire Leclercq, mais les plus nombreux à être impactés seront les prestataires de services qui font entre 25.000 et 37.500 euros de chiffre d'affaires aujourd'hui : métiers du BTP, professionnels de santé, consultants, développeurs informatiques… »

Selon nos informations, la mesure, qui avait été rejetée en première lecture au Sénat avant que l'ex-gouvernement Barnier ne force la main des sénateurs, devrait survivre à l'examen en CMP jeudi. Elle serait alors intégrée au budget soumis au vote des Assemblées et entrerait en vigueur aussitôt en cas d'adoption du texte.

L'actuel gouvernement y tient, d'abord car il en espère 400 millions de recettes supplémentaires dès 2025. C'est aussi une question d'harmonisation européenne. La France faisait jusqu'ici partie des pays d'Europe où le niveau de franchise était le plus haut. En raison de l'application, depuis le 1er janvier, d'une directive européenne transposée en droit français, les entreprises implantées dans d'autres pays de l'UE peuvent désormais bénéficier de la dispense tricolore - à condition d'avoir des revenus inférieurs à 100.000 euros et de ne pas dépasser les seuils français pour leur activité dans l'Hexagone.

Rendement incertain

« Le gouvernement craint que les seuils élevés actuels n'incitent des entreprises établies dans d'autres Etats membres à développer des activités dispensées de TVA en France, explique Nathalie Habibou, avocate associée au cabinet Arsene. Cela créerait une sorte de 'dumping TVA' sur le territoire français, avec un risque de distorsion de concurrence - vu l'incitation pour des entreprises françaises à recourir à une sous-traitance européenne dispensée de TVA -, mais aussi de microfraudes. » Quelque 200.000 petites entreprises vont ainsi devoir collecter la TVA, et soit augmenter leurs prix TTC, soit rogner leurs marges. « Les autoentrepreneurs vont avoir du mal à expliquer à leurs clients pourquoi ils augmentent leurs prix et risquent de ne pas pouvoir répercuter la TVA », se désole Grégoire Leclercq. Ils seront aussi contraints à des démarches nouvelles, pour comptabiliser la TVA encaissée et la récupérer sur les achats, ce qui peut les pousser à solliciter un expert-comptable. Ils devront gérer différemment leur trésorerie. Tout ceci a un coût, déplore la FNAE.

« On croit que parce qu'on fait baisser un plafond, les gens vont payer la taxe. En réalité, ils risquent soit de limiter leur activité, soit de faire le reste au black », avertit son président. Le rendement de la mesure paraît donc incertain, en particulier en 2025. « Une mise en application dès 2025 n'a pas de sens », alerte Nathalie Habibou. La franchise cessant de s'appliquer au 1er jour de dépassement du seuil, les entreprises qui ont déjà dépassé 25.000 euros de chiffre d'affaires devront-elles rééditer les factures passées et exiger la TVA auprès des clients concernés ? « Il y aurait un engorgement massif des services des impôts des entreprises », prévient l'avocate fiscaliste.