La fin d'un système qui présentait beaucoup de sens à l'origine, il y a plus de trente ans, mais qui dans le contexte actuel doit être revu. A défaut de pistes de réformes - ce sera pour fin juin -, le rapport d'étape de la mission Bozio-Wasmer sur l'articulation entre salaires, coût du travail et prime d'activité, présenté jeudi, a débouché sur au moins une conclusion : le statu quo n'est plus tenable, même si toute inflexion devra se faire « avec prudence et progressivement », sensibilité du sujet oblige.

De fait, le sujet est d'une rare complexité et façonne le coeur de la politique de l'emploi en France depuis 1993. Il s'agit d'ausculter la « tuyauterie socio-fiscale » qui mène de la fiche de paie au revenu disponible, ses effets sur l'emploi et la qualification des salariés. C'est Elisabeth Borne, alors Première ministre, qui avait annoncé cette mission lors d'une conférence sociale mi-octobre, dans un contexte de fortes revendications sur le pouvoir d'achat.

Plus précisément, la mission des deux économistes - Antoine Bozio est directeur de l'Institut des politiques publiques (IPP), Etienne Wasmer, professeur à l'université New York Abu Dhabi - porte sur les effets croisés entre seuils d'exonération des cotisations patronales, de versement des prestations sociales et d'imposition sur le revenu.

Dépenser 500 euros pour en gagner 100

Le sujet ayant fait l'objet de nombreux travaux, parfois dissonants ou non aboutis, ce rapport d'étape présente le mérite de faire un état des lieux. Sur le contexte d'abord. Lancés en 1993, renforcés depuis (à l'occasion des 35 heures, du CICE…), les allègements de cotisations ont été concentrés sur les bas salaires pour freiner le chômage des non-qualifiés. « Le problème spécifique du coût du travail a fini par faire consensus », a rappelé Antoine Bozio.

Ces allègements, élargis depuis jusqu'à 3,5 fois le SMIC - même si un coup de rabot a été voté dans le projet de loi de finances 2024 -, se sont faits à un coût budgétaire croissant jusqu'à représenter plus de 2,5 % du PIB en 2022. Soit 74 milliards, selon un rapport des députés Marc Ferracci (Renaissance) et Jérôme Guedj (socialiste).

Ce chiffre, ont bien précisé les économistes, ne prend pas en compte les effets positifs des créations d'emplois induites. Elles ont bien eu lieu mais - c'est l'un des points à expertiser - pas toujours là où on les attendait. Des entreprises très concernées par les bas salaires ont étoffé leurs effectifs dans les tranches mieux payées. D'autres, qui l'étaient moins, ont au contraire embauché des smicards.

Aujourd'hui, le chômage a beaucoup baissé, sans atteindre le plein-emploi. Les tensions de recrutements demeurent élevées. Les statistiques montrent une très grande concentration des emplois dans la tranche 1 à 1,6 fois le SMIC où se concentre l'essentiel des allègements. La forte augmentation du SMIC depuis deux ans a joué mais un peu seulement, car cette concentration est apparue bien avant.

Surtout, la tuyauterie socio-fiscale conduit pour ces niveaux de salaires à des « taux marginaux effectifs de prélèvements » élevés, pour reprendre le jargon des spécialistes. En clair : tout pris en compte, une augmentation coûte trop cher à l'employeur et rapporte trop peu à l'employé. A telle enseigne qu'il faut parfois dépenser 500 euros pour augmenter le revenu disponible de 100 euros. Les deux parties peuvent préférer en passer par une prime ou des heures supplémentaires.

« Relativement peu de marges de manoeuvre »

Tout cela semble désigner un effet « trappe à bas salaire », même si cela reste à prouver. Pire peut-être, estiment Antoine Bozio et Etienne Wasmer, un effet « trappe à promotion » est « très plausible » : au moment où l'économie française fait face à des transitions majeures, suivre une formation ne serait pas payé de retour, l'augmentation de revenu étant trop faible pour le salarié, trop peu rentable pour son entreprise.Le constat étant posé, que faire ? La réponse, évidemment, appartient au gouvernement. « A budget constant et prélèvements obligatoires constants, il y a relativement peu de marges de manoeuvre », conclut le rapport d'étape, sachant que tout changement fera des gagnants et des perdants. Faut-il atténuer la progressivité des allègements (la pente) de cotisations ? Cela paraît incontournable aux dires des acteurs. Mais repousser le seuil de 1,6 SMIC coûterait plus cher aux finances publiques avec un effet emploi limité. Autre solution : avoir un point d'entrée moins favorable. Faut-il mieux les cibler sur une population donnée ou un territoire ? Pourquoi pas, suggèrent les deux économistes. « Un seul outil pour des situations diverses cela ne peut pas bien fonctionner. Ce sont des choses auxquelles on doit réfléchir », a pointé Antoine Bozio. « Le diagnostic montre qu'il reste des poches de chômage et de sous-emploi sur des catégories spécifiques de la population pour qui on peut penser que cela serait plus efficace de concentrer les allègements », a ajouté Etienne Wasmer. Quitte, même, à les diminuer globalement au niveau du SMIC, comme on peut l'anticiper en filigrane à la lecture de ce rapport ? Ce sera à Gabriel Attal de trancher.Pas question pour autant de rajouter de la complexité à quelque chose qui l'est déjà. Ni allumer le feu politiquement. Au contraire des cotisations patronales, les deux rapporteurs ont très peu mis l'accent sur la prime d'activité dont le seuil de sortie est de 1,5 SMIC.