Trois ans après la pandémie, la France renoue avec les niveaux de défaillance auxquels elle était accoutumée avant le Covid. En 2023, 55.492 entreprises ont ouvert des procédures de redressement et de liquidation judiciaire, soit 34 % de plus qu'en 2022, selon le décompte de la Banque de France publié vendredi.Le retour à la normale, tardif, se révèle donc brutal, même si ce chiffre reste très inférieur à la tendance observée entre 2010 et 2019, où, en moyenne, 59.300 défauts par an étaient recensés dans l'Hexagone.

Bond des défauts chez les PME et les ETI

Sur le fond, ce retour des défaillances ne surprend guère : elles avaient chuté grâce à l'intervention publique pendant la pandémie, mais désormais l'Urssaf bat le rappel pour les remboursements et les prêts garantis par l'Etat doivent être remboursés. Par ailleurs, dans un pays qui crée désormais plus d'un million d'entreprises par an, beaucoup de jeunes sociétés trépassent.

Mais un indicateur inquiète : la sinistralité a bondi de 60 % en un an, et de 30 % par rapport à 2019 chez les entreprises de plus grande taille - PME, entreprises de taille intermédiaires (ETI), voire grandes entreprises - où plus de 4.450 défauts ont été observés.

Les marques de prêt-à-porter Kookaï et Gap France, les Aciéries de Ploërmel Industrie, le confiturier Lucien Georgelin, la plateforme de livraison de repas et de courses Frichti, l'enseigne de décoration Habitat… les grands dossiers se sont multipliés l'an dernier devant les tribunaux de commerce. Avec, à la clé, des milliers d'emplois menacés ou supprimés.

Selon Denis Ferrand, le directeur général de Rexecode, une nouvelle étape est peut-être en passe d'être franchie. « Après une période de rattrapage post-Covid, on est peut-être en train d'entrer dans une nouvelle phase où les défaillances sont le révélateur d'une situation plus fragile des entreprises », observe l'économiste.

Entre inflation encore forte et taux d'intérêt élevés, la demande faiblit et la croissance économique patine - le PIB s'est replié au troisième trimestre 2023 et devrait stagner au quatrième, selon l'Insee. Dans ce contexte, les situations de trésorerie sont plus tendues. Les difficultés se concentrent dans certains secteurs : le commerce - réparation automobile incluse - où près de 12.000 défaillances sont constatées, le bâtiment (11.600), l'hôtellerie-restauration ou encore le conseil aux entreprises.

Vers un pic début 2025 ?

Selon Denis Ferrand, les défaillances devraient continuer d'augmenter en 2024. « Il n'est pas impossible que l'on franchisse la barre des 60.000 », estime-t-il. Un seuil qui avait été dépassé à la sortie de la crise financière de 2008 où la France flirtait avec les 63.000 défauts annuels.Dans une étude récente, Julien Lecumberry du Crédit Mutuel Arkéa voit la vague monter encore plus haut et prédit un pic autour de 70.000 au premier trimestre 2025. « Ce rebond ne représente pas un scénario de crise aiguë de type 'effet domino' ou 'mur des défaillances », écrit-il toutefois. Selon lui, « le risque est significatif pour les entreprises qui ne sont pas parvenues à répercuter dans leurs prix de vente la hausse de leurs coûts de production ou qui sont fortement exposées au durcissement des conditions de financement, notamment l'immobilier et la construction ».