Et si le taux d'emploi en France était bien supérieur à celui que l'Insee publie régulièrement ? Le taux de chômage, par conséquent, est-il inférieur à sa valeur officielle ? Les questions paraissent farfelues s'agissant de chiffres éprouvés émanant d'une source reconnue et indépendante. Elles sont pourtant fondées, comme le montrent des travaux de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) auxquels « Les Echos » ont eu accès et que l'Insee ne réfute pas, au moins en partie.Pour comprendre, il faut se plonger dans les sources de données à l'origine de ces chiffres. Le taux de chômage et le taux d'emploi sont calculés à partir d'une enquête trimestrielle de l'Institut national de la statistique portant sur 90.000 résidents de logements ordinaires et qui obéit au cahier des charges du Bureau international du travail (BIT). L'avantage ? Permettre des comparaisons pays par pays sur une même base.

« Un écart gigantesque »

De cette enquête sont estimés, tous les trois mois donc, le nombre de chômeurs et celui des personnes en emploi. Ne reste plus qu'à diviser le premier par la somme des deux (la population active) pour donner le taux de chômage. Pour le taux d'emploi, il faut rapporter le second à la population en âge de travailler. Le problème vient du fait que le nombre de personnes en emploi tel qu'il ressort de cette enquête est très inférieur à celui issu des sources administratives. Là où l'enquête emploi en a compté 28,7 millions fin 2023, les sources administratives en ont recensé 30,4 millions. Soit un écart de 1,7 million ! « L'écart n'a fait qu'augmenter ces dernières années, il a même doublé depuis 2020 pour devenir gigantesque aujourd'hui », confirme le directeur du département analyse et prévision de l'OFCE, Eric Heyer. Peut-être, avance-t-il en guise d'explication, parce que l'enquête emploi passe à côté de beaucoup de contrats d'apprentissage dont le nombre a explosé depuis la réforme de 2018.Un tel écart n'a pas échappé à l'Insee. « C'est clairement un sujet, même s'il n'est pas nouveau et nous travaillons à comprendre pourquoi », confirme le chef du département de l'emploi et des revenus d'activité, Vladimir Passeron. Logements non ordinaires (foyers de travailleurs par exemple) écartés, sous-déclarations des « petits boulots » ou encore incidence des frontaliers : de fait, une note de 2019 basée sur les chiffres de 2012 (l'intervalle de temps en dit long sur la complexité du sujet) avait déjà listé des pistes.Attendue cette année, une actualisation de cette note permettra peut-être d'y voir plus clair. En attendant, les conséquences que l'on peut tirer de cet écart factuel sont sensibles. Sur le taux d'emploi officiel d'abord, clairement sous-estimé. Il serait de 72,5 % et non pas 68,4 %, a calculé l'OFCE. « C'est imparable », reconnaît Vladimir Passeron (cela expliquerait au passage une partie des pertes de productivité de l'économie depuis le Covid).La deuxième conséquence est plus sensible. Si l'enquête emploi sous-estime le nombre de personnes qui travaillent, alors le taux de chômage officiel pourrait être plus bas qu'affiché. Là encore l'OFCE a sorti sa calculette pour aboutir à 7,1 % de la population active et non pas 7,5 %. « A supposer que le nombre de chômeurs ne soit pas lui aussi sous-estimé », oppose Vladimir Passeron, sachant que sur ce point il est impossible de le savoir, faute de source de données alternative.