Attention, danger ! Après près de trois ans de décrue, les délais de paiement sont à nouveau dans la tourmente. Et les principales victimes en sont les petites entreprises. « Les premières tendances de cette année montrent qu'on repart à l'envers », avance Pierre Pelouzet, le médiateur des entreprises, qui présentera ce jeudi son bilan annuel sur les médiations.En 2023, les délais de paiement ont représenté le quart des 4.300 saisines de cette structure de Bercy destinée à résoudre des litiges commerciaux, dont 1.900 ont conduit à des médiations (contre 1.600 en 2022). La problématique arrive en tête des dossiers traités, devant les difficultés liées à l'énergie ou des différends sur les contrats.

« On constate une légère dégradation du nombre de jours de retard de paiement, passé de 11,7 jours fin 2022 à 12,6, voire 12,7, à la fin de l'an dernier », confirme Frédéric Visnovsky, médiateur du crédit et vice-président de l'Observatoire des délais de paiement, qui compile tous les ans les données émanant de la Banque de France.

Le premier semestre 2023 avait déjà enregistré 12,3 jours de retard. Depuis la loi de modernisation de l'économie de 2009, toutes les entreprises doivent payer leurs fournisseurs soixante jours maximum après la date d'émission de la facture (ou 45 jours fin de mois).

Des sorties de route qui s'expliquent par la série de secousses qui a suivi la crise sanitaire - flambée des matières premières et de l'énergie, inflation, tensions géopolitiques, problèmes de recrutement -, auxquelles s'ajoute depuis quelques mois le ralentissement de l'activité. Si une entreprise sur deux paye dans les délais, celles qui sont en retard le sont de plus en plus. « Elles étaient 7 % à payer avec plus de trente jours de retard en 2022. Elles sont 8 % ou 9 % en 2023 », alerte Frédéric Visnovsky.

« Variable d'ajustement »

« Les délais de paiement sont devenus une variable d'ajustement pour la trésorerie des entreprises », pointe Denis Le Bossé, à la tête du cabinet ARC, spécialisé dans le recouvrement de créances. « Avec à un prêt garanti par l'Etat qu'il faut rembourser sous peine que la cotation des assureurs-crédit soit dégradée et un crédit bancaire plus coûteux en raison des taux d'intérêt, le dirigeant a vite fait de jouer sur le paiement des factures. »

Et, selon Altares, cette tendance à la hausse ne concerne pas que les grands groupes, habituels mauvais payeurs, mais aussi les PME-TPE, notamment dans le commerce, les services à la personne ou la restauration, des secteurs à la peine.

Rien à voir, certes, avec la flambée de l'été 2020 qui, en pleine pandémie, avaient enregistré des retards de paiement au plus haut depuis près de vingt ans, au-delà de quatorze jours. Mais cette reprise des mauvais comportements inquiète les pouvoirs publics.

La Commission européenne s'en est saisie, en proposant en septembre dernier, dans le cadre de son plan pour les PME, de raccourcir les délais de règlement de 60 à 30 jours pour toutes les entreprises et dans tous les secteurs, sous peine d'intérêts de retard automatiques. Une mesure contre-productive, estime le patronat et l'exécutif français, qui fragiliserait les PME. Rien n'est fait, ces règles devant être adoptées par le Parlement, puis le Conseil européen. Mais la vigilance est de mise.

« Name and shame »

Dans un contexte de remontée des défaillances, il ne s'agit pas que ce levier précipite les entreprises dans le rouge. L'Observatoire des délais de paiement, qui a monté un groupe de travail en janvier sur les causes des retards et les bonnes pratiques pour y remédier, chiffre à 15 milliards d'euros la trésorerie qui a manqué aux PME en 2022 du fait de ces factures non payées dans les temps. « Les retards de paiement accroissent de 25 % les défaillances. Il n'y a pas de lien direct mais, oui, ils y contribuent », détaille Frédéric Visnovsky.

Devant ces vents mauvais, l'Etat entend renforcer le panel des outils de lutte. Le comité de crise sur les délais de paiement, monté à Bercy pendant la pandémie de Covid, est toujours en place. De son côté, la Banque de France intègre désormais les comportements de paiement dans la cotation des entreprises. En 2023, 1.200 entreprises ont vu leur note se dégrader, contre 250 en 2022.

Comme inscrit dans la loi Pacte de 2019, mais pas encore appliqué, les collectivités locales, également dans le viseur pour mauvais paiement, verront dès cette année ces données publiées sur le site Open data du gouvernement. Dès le 15 avril, ce seront les communes de plus de 3.500 habitants qui le seront, puis, d'ici à la fin de l'année, l'ensemble des collectivités. Un dispositif qui tente de se caler sur le « name and shame » en vigueur pour les entreprises, consistant à épingler publiquement les mauvais payeurs et le montant de leurs amendes (en hausse depuis 2016).

Ainsi, Renault a reçu une note de 2 millions d'euros (le maximum) début mars, tout comme ArcelorMittal (1,54 million) ou Vestas (1,1 million). Mais le dispositif ne pourra pas aller aussi loin, les communes, départements et régions ne pouvant passer sous les fourches caudines de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. « Cet affichage permettra aux dirigeants de savoir avec qui ils vont travailler », défend Frédéric Visnovsky.