Parmi les stigmates laissés par la pandémie de Covid, la chute de la productivité en France est celui-ci qui interroge le plus les économistes. Depuis trois ans, tous cherchent à élucider les raisons de ce décrochage. Pour une bonne raison : la productivité est un levier essentiel de la croissance économique. Dans un bulletin publié ce vendredi, la Banque de France apporte un éclairage nouveau, cherchant à démêler les facteurs durables qui ont contribué à la baisse récente des causes temporaires.

De fait, au deuxième trimestre 2023, la productivité apparente du travail (soit, la richesse produite rapportée au nombre de personnes employées) se situait 5,2 % en dessous de son niveau de fin 2019. Par rapport à la tendance pré-Covid, elle affichait même un recul de 8,5 %. Les auteurs de l'étude se veulent toutefois rassurants : les facteurs identifiés de baisse de la productivité « traduisent davantage une orientation des politiques publiques en faveur de l'emploi qu'une diminution du potentiel de création de richesse de la France », écrivent-ils.

Des sureffectifs estimés à 360.000 emplois

L'institution monétaire a identifié l'origine de plus de la moitié de la perte, soit 5 % sur le total de 8,5 %. « Ces 5 % se répartissent entre deux tiers de facteurs durables et un tiers de causes temporaires », indique Olivier Garnier, chef économiste de la banque centrale. Les auteurs de l'étude font l'hypothèse que sur la partie qui reste inexpliquée, la clé de répartition est la même.Selon eux, le facteur qui a le plus pesé sur la productivité a été les rétentions de main d'oeuvre dans les entreprises. Face aux difficultés de recrutement, les effectifs ont de fait été maintenus malgré le recul de leur activité à la sortie du Covid. Cette situation a créé des sureffectifs estimés par la Banque de France à 360.000 emplois, concentrés dans quatre branches : la fabrication de matériels de transport, la construction, l'hébergement restauration et l'information-communication.Le phénomène serait toutefois conjoncturel. « Les sureffectifs liés à des rétentions de main-d'oeuvre sont en train de se résorber, décrypte Olivier Garnier. Dans nos projections, entre 2024 et 2026, la productivité devrait transitoirement retrouver des gains supérieurs aux 0,7 % par an qu'elle connaissait avant l'épidémie de Covid. En trois ans, près d'un tiers de la productivité perdue devrait ainsi être rattrapé. »

Effets durables de l'apprentissage

Les autres facteurs d'explication de la chute de la productivité mis en avant par la banque centrale sont, eux, amenés à perdurer. L'étude estime que l'essor de l'apprentissage depuis 2019 a contribué à hauteur de 15 % environ à la baisse récente (1,2 % sur 8,5 % ). Une évaluation plus basse que celle des autres instituts : pour l'OFCE, il expliquerait un tiers du recul et pour l'Insee, la moitié. « L'apprentissage va avoir des effets durables sur la productivité, même si on peut penser qu'avec la réduction du montant de la prime à l'embauche, la montée en puissance est terminée » souligne Bruno Ducoudré, coauteur de l'étude.

L'institution monétaire relève aussi le poids des changements de composition de la main-d'oeuvre (1,4 % sur 8,5 %) depuis le Covid. La complexité à embaucher a conduit les entreprises à se tourner vers des personnes à l'écart du marché du travail depuis un certain temps, ou moins qualifié. Enfin, des effets permanents liés aux confinements sont pointés (0,4 point).Une part de la chute de la productivité reste néanmoins inexpliquée. Plusieurs pistes sont évoquées : le nombre très faible de défaillances à la sortie du Covid, la baisse du coût du travail par rapport à la période prépandémique.Dans un second bulletin consacré à l'industrie, la Banque de France suggère de plus que la productivité dans l'industrie a été affectée par la hausse des coûts des matières premières et de l'énergie, et par les difficultés de recrutement. « Entre fin 2019 et 2023, le recul de la productivité par tête dans l'industrie a été plus marqué que dans la moyenne des branches marchandes alors même qu'historiquement il s'agit de la branche qui réalise les gains de productivité les plus élevés », souligne Pauline Lesterquy, coauteure de l'étude.